vendredi 14 janvier 2011

Quand Agaune illuminait le monde



 Vincent Pellegrini 



Le récent colloque international d’histoire sur saint Maurice d’Agaune qui s’est tenu à Besançon et à Saint-Maurice et auquel nous avons pu assister, a livré des éléments intéressants. Récit authentique. Ainsi, le récit de la passion des martyrs d’Agaune par l’évêque Eucher de Lyon (récit écrit vers 434-460 et reproduit par un copiste à la fin du VIe siècle) est bien d’Eucher de Lyon. Cela ressort assez clairement, par exemple, de l’analyse de la lettre envoyée par Eucher à Salvius, évêque d’Octodure - pour préfacer le récit du martyre des Thébains – lorsqu’on replace cette lettre dans le contexte antique. Le copiste lyonnais du VI e siècle avait vraisemblablement sous les yeux la passion écrite originale tirée des archives épiscopales de Lyon, a conclu le spécialiste. Autre élément souligné dans ce colloque: il y avait déjà un important pèlerinage à Agaune sur les tombeaux des martyrs avant 450 et l’on y venait de partout. Selon les chroniques, il y avait en effet déjà à Agaune une communauté aux IVe et Ve siècles pour desservir le lieu de culte mais on en ignore le statut (il semble que ladite communauté était mixte, mêlant serviteurs séculiers et religieux, etc.). La nouveauté de 515. De plus l’absolue nouveauté du monastère d’Agaune, lorsqu’il a été fondé en 515, n’a pas été la « laus perennis », c’est-à-dire le fait que l’on y chantait la louange de Dieu 24 heures sur 24 (les chœurs de moines se relayaient sans cesse selon un modèle militaire) car cela se faisait aussi de façon similaire en Orient (chez les Ascémètes ou «moines qui ne dorment jamais»), voire peut-être ailleurs en Gaule sans que l’on sache ou non si c’était sous une forme chantée car il y avait plusieurs manières de “de prier sans cesse”. La nouveauté du monastère d’Agaune résidait surtout dans le fait que cette louange était désormais ouverte aux gens du dehors et autres pèlerins qui pouvaient y assister et y participer, alors que cette tradition se pratiquait en Orient sous la forme d’une stricte clôture monacale. Pour le monde entier. A Agaune on chantait pour le monde entier (première particularité) dans la basilique qui était ouverte à tous (deuxième particularité). Il n’y avait en effet pas seulement des moines, mais aussi des groupes de clercs au tout début de l’histoire de l’abbaye car la basilique avait un caractère public. Avec la prière de louange perpétuelle publique instaurée pour la première fois en Occident à Saint-Maurice, l’abbaye d’Agaune réconciliait en fait divers courants orientaux et occidentaux (synthèse aussi de diverses formes monastiques occidentales car les moines de Saint-Maurice venaient de diverses communautés). N’oublions pas que c’est seulement au IX e siècle que les religieux d’Agaune sont devenus des chanoines. Reste que l’abbaye de Saint-Maurice a instauré une nouvelle manière de «prier sans cesse». Ce n’est donc pas un hasard si les chroniqueurs trouvent important d’expliquer que les portes de l’abbaye étaient ouvertes jour et nuit, tout le monde pouvant participer à la louange dans la basilique. Laboratoire du monachisme. L’épitaphe de l’un des premiers abbés d’Agaune invite non seulement les frères à adresser à Dieu une louange perpétuelle, mais aussi la supplication pour tous les fidèles. Anticipant ainsi la législation de l’empereur Justinien au sujet de la supplication universelle dévolue aux moines. Agaune fut donc un véritable laboratoire du monachisme occidental. Et resta une exception au cours des siècles suivants. Dès le VIe siècle, le travail manuel fut en effet imposé aux moines en Gaule dans la plupart des règles monastiques. Mais lorsque Sigismond, roi de Bourgogne fonda l’abbaye d’Agaune en 515, il la dota très généreusement afin que les moines puissent se consacrer uniquement à la louange publique de Dieu. L’appui que les rois  (Clotaire II par exemple) continuèrent d’apporter à l’abbaye, en lui accordant notamment des privilèges royaux,  permit aux moines de s’opposer avec succès durant des siècles aux évêques qui tentaient de leur imposer le travail. Il y eut d’ailleurs peu d’abbayes à disposer de tels privilèges royaux (Luxeuil, Lérins, Agaune). Mais les rois avaient en très haute estime saint Maurice qui était pour eux un saint tutélaire légitimant leur pouvoir et un exemple de bonne gouvernance (le chevalier, comme Maurice, sert le prince seulement si celui-ci ne lui donne pas d’ordres contraires à la foi chrétienne). L’Abbé de Saint-Maurice avait même la réputation de pouvoir guérir les rois et l’on dit que Clovis aurait fait appeler l’abbé d’Agaune pour être soulagé d’une fièvre.
Vincent Pellegrini


 — Vincent Pellegrini 
HISTOIRE Un colloque international a exploré cette semains à Besançon et à l’Abbaye de Saint-Maurice l’incroyable rayonnement politique et identitaire du chef de la légion thébaine Maurice d’Agaune à travers les siècles. On peine aujourd’hui à imaginer que saint Maurice a été l’un des saints les plus importants du Moyen Age. Le chef de la légion thébaine martyrisé selon la tradition avec ses compagnons aux portes d’Agaune (Vérolliez) a même été l’un des principaux saints impériaux et royaux. Cet aspect, parmi d’autres du «Primicier de Dieu», a été exploré par un colloque international de haut niveau qui a eu lieu cette semaine à Besançon et à l’abbaye de Saint-Maurice. Organisé par le Laboratoire des sciences historiques de l’Université de Franche Comté et par la Fondation des archives historiques de l’Abbaye de Saint-Maurice, il nous a réservé bien des découvertes car nous avons eu le plaisir de pouvoir le suivre.Sans revenir sur les Burgondes et leur roi saint Sigismond qui fonda l’abbaye en 515, celle-ci a aussi été le centre symbolique du royaume de Bourgogne (monarchie rodolphienne de 888 à 1024). Le roi de Bourgogne recevait même l’anneau de saint Maurice et les premiers souverains rodolphiens se faisaient couronner à Agaune. Après la fin du royaume rodolphien, au XIe siècle, saint Maurice poursuit son influence européenne comme saint impérial. Le culte de saint Maurice a même pris une énorme ampleur au temps des Ottons (Saint-Empire romain germanique). Le culte de saint Maurice et de ses compagnons martyrs a de fait eu une grande importance pour le pouvoir central du royaume franc entre les VIIIe et XIIIe siècles. Au XIIIe siècle, on trouve le culte de saint Maurice un peu partout en Europe et il est représenté dans les cathédrales de France les plus prestigieuses, soit sur les vitraux soit sous la forme de sculptures (cathédrale de Tours, basilique saint Denis, Notre-Dame de Paris, Sainte Chapelle de Paris, cathédrale de Chartres, cathédrale de Poitiers, etc.). Bref, saint Maurice est directement associé à la couronne franque et aux fleurs de lys, montrant que le gouvernement du prince est agréé par Dieu. Maurice est également la bonne conscience des croisés et il est souvent représenté avec saint Georges. A la fin du Moyen Age, les seigneurs aiment attacher à leurs armoiries et donc à leur pouvoir les saints militaires au premier rang desquels figure saint Maurice. La maison de Savoie récupère par exemple l’épée de saint Maurice sur ses insignes. Et le mot «Maurice» devient même un cri de guerre pour la chevalerie! D’ailleurs la lance de Saint Maurice, qui aurait été celle du légionnaire Longins qui perça le flanc du Christ au Golgotha et qui aurait appartenu à Constantin, était à l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune selon certaines chroniques et se trouve aujourd’hui dans le trésor des Habsourg au musée Hofburg de Vienne. Cette lance avait des vertus surnaturelles et donnait la victoire dans les batailles. C’est l’un des grands mythes de la chrétienté médiévale et les empereurs ottoniens firent tout pour l’acquérir. Elle fut un insigne majeur du pouvoir impérial et elle est mise aussi en valeur au côté du Graal dans le cycle arthurien. Cette lance conservée aujourd’hui à Vienne a même fasciné Hitler, qui avait un fort passé occultiste, au plus haut point. Voici ce qu’en dit par exemple un site: “Quand Hitler annexera l’Autriche au troisième Reich en 1938, une des premières choses qu’il fera c’est d’aller chercher la « lance du destin ». Il la fait transporter à Nuremberg par un train spécial, sous la surveillance d’une garde armée. Là, il la fait placer dans une église, transformée sous son ordre en temple nazi. Quand les alliés bombardent la ville, Hitler ordonne que la lance soit cachée dans un coffre-fort spécial dissimulé dans les fondations. Finalement, le 30 avril 1945, des troupes américaines, qui ont réussis à atteindre Nuremberg malgré une résistance farouche, pénètrent dans son coffre-fort et trouvent la lance. Hitler, qui est alors isolé dans son bunker de Berlin, ne sait pas ce qui s’est passé. Mais il se suicidera seulement quelques heures plus tard. Aujourd’hui cette lance, relique au triste passé, a retrouvée sa place au musée Hofburg.”




Vincent Pellegrini

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