dimanche 16 janvier 2011

L’islam et l’Europe:

L’islam et l’Europe: La vitalité de la religion musulmane sur le Vieux-Continent pose un défi à notre société laïcisée.

Interview parVincent Pellegrini 

La vitalité de la religion musulmane sur le Vieux-Continent pose un défi à notre société laïcisée. Annie Laurent, journaliste écrivaine s’est spécialisée dans l’étude de l’islam et du Proche-Orient. Je l’ai interviewée en décembre 2003 pour «Le Nouvelliste» et j’ai pensé qu’il était bon de la republier sur ce blog en voyant la vivacité du débat entre internautes sur la compatibilité entre le Dieu des chrétiens et celui des musulmans.
“Lors de la rencontre Saint-Nicolas et Dorothée de Flüe à Saint-Maurice de décembre 2003, la spécialiste Annie Laurent a fait un exposé sur les défis posés aux chrétiens par la montée de l’Islam en Occident. Annie Laurent est Française, docteur d’Etat en sciences politiques. Cette journaliste-écrivain s’est spécialisée dans l’étude de l’islam et du Proche-Orient. Notre interview.

Annie Laurent, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui avec l’islam en Europe?

Mgr Panafieu, archevêque de Marseille et chargé du dialogue islamo-chrétien au sein de la conférence épiscopale française, disait récemment: «Naguère nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam.» Cette phrase illustre bien le changement de perspective intervenu en trois ou quatre décennies. Nos pays ont d’abord accueilli des travailleurs immigrés isolés, à présent nous assistons à une immigration de peuplement, qui s’installe chez nous avec sa religion et ses traditions. Le nombre de musulmans en Europe (Est et Ouest) était estimé à 52 millions en 2001. Cela risque de créer une situation de communautarisme contraire à nos traditions. Or, les chrétiens d’Europe ne sont pas préparés à cette implantation massive.

L’islam est pourtant comme le christianisme une religion monothéiste…

L’Eglise catholique ne se prononce pas sur le statut théologique de l’islam. Pour autant, elle ne l’a jamais reconnu comme une religion révélée ou comme faisant partie de la révélation biblique. Sa position est donc claire. Les chrétiens et les musulmans ont certes le même Dieu philosophiquement parlant, mais ils n’ont pas le même Dieu du point de vue théologique. Le Dieu du Coran n’est pas le Dieu de la Bible. C’est pourquoi nous pouvons être ensemble pour prier mais nous ne pouvons pas prier ensemble. Le monothéisme islamique, centré sur l’unicité de Dieu, est d’une très grande simplicité par rapport au monothéisme chrétien. Les musulmans reprochent d’ailleurs au christianisme ses mystères tels que l’Incarnation, la Trinité, la Rédemption, les sacrements, le péché originel,etc. Même les emprunts bibliques que l’on trouve dans le Coran servent une logique qui n’est pas celle du judéochristianisme. Les musulmans considèrent par ailleurs les chrétiens comme des «gens du Livre», ce qui n’est pas admis par les chrétiens qui se définissent comme les disciples d’une personne vivante, Jésus-Christ, et non d’un verbe écrit et muet. L’islam est pour ses fidèles le Verbe de Dieu écrit une fois pour toutes et n’est donc pas l’objet d’une exégèse au sens où on l’entend dans l’Eglise, c’est-à-dire à partir de critères historico-critiques. Dans le christianisme, la Tradition trouve au contraire un développement
homogène à cause précisément du Verbe vivant. Certains musulmans font certes une lecture critique du Coran, non sans risques d’ailleurs, mais ils ne pratiquent ni l’exégèse ni la science théologique car le Dieu de l’islam est inconnaissable. Il n’y a donc pas de place pour l’interrogation ou le doute. En Europe, les chercheurs musulmans disposent certes de la liberté nécessaire à de nouvelles interprétations du Coran. Je pense au grand mufti de Marseille, Souheib Bencheikh, ouvert et courageux, prônant la compatibilité de l’islam avec la laïcité. Mais son influence est presque nulle auprès des populations musulmanes. On est donc loin du consensus des docteurs de la loi islamique qui pourrait entraîner une approche nouvelle dans le monde musulman lui-même.

Mais l’islam prône la morale, comme le christianisme…

En islam, les normes morales existent mais elles sont plus faciles que dans le christianisme. En fait, elles sont ajustées aux capacités naturelles de l’homme. Le Coran désigne d’ailleurs la communauté musulmane comme étant celle «du juste milieu». De plus, il y a toujours des atténuations ou des accommodements possibles au principe posé, comme le meurtre par exemple. L’islam n’invite pas au dépassement comme le fait Jésus dans l’Evangile lorsqu’il déclare «Soyez parfaits comme votre Père du Ciel.» Il faut par ailleurs signaler la situation défavorisée de la femme qui n’est pas considérée comme l’égale de l’homme et soumise à son bon vouloir. D’où des pratiques autorisées comme la polygamie ou la répudiation, plaie des sociétés islamiques selon un auteur musulman lui-même. Il s’agit là de pratiques inacceptables par la morale chrétienne.

Et quel est le décalage avec le modèle européen?

Les musulmans d’Europe ne vivent pas isolés du reste de l’Oumma, la «communauté des croyants»; ils se sentent concernés par son évolution et participent à leur manière à son expansion. L’islam est une religion en pleine vitalité et sûre de son triomphe. Cela se manifeste par un formidable élan nataliste ou par le recours au djihâd, qui est une obligation de communauté et consiste à travailler à la diffusion de l’islam par tous les moyens, pacifiques ou violents. Contrairement au monde musulman, l’Occident a perdu le sens de la Transcendance divine. L’islam a donc également su résister à la désacralisation de l’espace public et à la privatisation de la foi que l’on constate en Europe. L’islam ignore la laïcité, terme qui n’existe d’ailleurs pas dans la langue arabe. Pour l’islam, l’Etat est confessionnel et la laïcité est souvent assimilée à l’athéisme, au rejet de Dieu de l’espace public. Reste qu’un musulman ne peut renoncer à son identité et changer de religion sous peine d’être accusé d’apostasie et de traîtrise et puni en conséquence. En Egypte, par exemple, bien que le code pénal ne prévoie pas la peine de mort pour celui qui aurait renié l’islam, le meurtrier de ce dernier n’est jamais poursuivi en justice. Je terminerai en disant que l’islam est toujours fort de la faiblesse spirituelle et morale des autres, en l’occurrence des chrétiens. L’intégration des musulmans serait sans doute plus facile si l’Europe retrouvait la fierté de ses racines chrétiennes et savait qui elle est. Le modèle européen serait alors respecté et peut-être attrayant pour les musulmans alors qu’en l’état actuel, il les rebute.”
Propos recueillis en décembre 2003 par Vincent Pellegrini (mais toujours d’actualité!)


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