Classé dans : — Vincent Pellegrini
Le dernier livre de Gouguenheim relaté sur ce blog à plusieurs reprises (voir article du 26 octobre notamment) fait manifestement débat parmi nos internautes. Gouguenheim, comme me le disait récemment un byzantinologue érudit, ne fait pourtant que constater ce que tous les byzantinologues savent depuis longtemps, à savoir que Rome a toujours été en contact avec les textes grecs par Bysance. J’en profite, pour relancer le débat, de republier un extrait d’un article que j’écrivais sur ce blog le 10 avril dernier.
«Non, l’Occident ne doit rien aux Arabes», tel était le titre d’une page du Courrier international du 29 juillet 2004 qui traduisait un texte de l’intellectuel palestinien Saqr Abou Fakhr tiré d’”Ad Safir” à Beyrouth. On y apprend que « la civilisation arabe s’est éteinte avec la chute de Bagdad en 1258, à la suite de laquelle les arabes cessèrent de créer et d’innover, excepté dans certains domaines limités et disparates ». Or, la civilisation occidentale a été portée par trois innovations : l’imprimerie, la boussole et la poudre donnant la suprématie militaire. Et ces innovations sont venues de Chine dit l’auteur. Le génie de l’Europe a en effet toujours été d’intégrer et de développer pour son propre compte des apports extérieurs. La pensée occidentale est en effet restée ouverte sur l’innovation, contrairement à la pensée arabo-musulmane (autre constat de l’auteur précité). Alors, qu’ont apporté à la civilisation occidentale les Avicenne (980-1037), Averroès (1126-1198) et Ibn Khaldun (1332-1406) ? Eh bien l’Europe n’a pas eu besoin de ces penseurs arabes pour avancer sur la voie du progrès, conclut Saqr Abou Fakhr. Il explique: «Sinon, on serait en droit de se demander pourquoi les principes énoncés par Averroès auraient été un facteur décisif de la Renaissance en Europe alors qu’ils n’ont eu, à la même époque, aucune influence sur la civilisation arabe». Et il donne cette explication: «En fait, Averroès, Ibn Khaldun et Avicenne se trouvaient en quelque sorte en dehors du courant dominant d’une culture arabe qui les a d’ailleurs refusés et rejetés. Une culture qui, déjà à l’époque, sombrait tout comme aujourd’hui, sous le poids des fatwas des oulémas, des théologiens et récitants du Coran, du même accabit qu’Al Ghazali, Ibn Taymiya, Al Chafei et Al Achaari ». Au lieu d’écouter ses savants musulmans médiévaux qui parlaient le langage de la raison et au lieu de suivre Averroès qui se servait du commentaire d’Aristote pour concilier philosophie et écrits sacrés musulmans – soit raison et foi pour reprendre la thématique de Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne – le monde musulman a apophtegmatisé : « Adopter le rationalisme, c’est faire profession d’athéisme.» Malheureusement pour nous et pour la civilisation du pourtour méditerranéen d’aujourd’hui, le conservateur Al Ghazali a cloué le bec à Averroès en écrivant son traité «L’incohérence des philosophes ». On en subit aujourd’hui encore les conséquences. Al Ghazali fut en effet durablement préféré à Averroès. De fait, la pensée musulmane a régressé depuis les seldjoukides au XIe siècle jusqu’à nos jours, dit l’auteur précité. Le monde musulman amorça certes de manière brillante le processus de conciliation entre rationalité et Coran durant deux siècles (IXe et Xe siècles, avec des ricochets durant une période limitée dans l’Espagne musulmane), mais cessa ensuite cet effort religieusement prométhéen. “Cette civilisation ne dura que deux siècles alors que la civilisation européenne a des racines qui remontent au Ve siècle siècle avant notre ère.”, dit Saqr Abou Fakhr sur cette période éclairée de la civilisation islamique. La civilisation européenne est effectivement née d’un métissage réussi entre la pensée hellénistique et judéo-chrétienne. L’Europe a connu ainsi l’évolution homogène de la pensée rationnelle, même à travers le christianisme, notamment grâce à la philosophie qui s’est faite la servante éclairée de la théologie. L’Occident n’a en fait jamais renié la raison naturelle. Aujourd’hui, des penseurs musulmans refont en vitesse accélérée ce même chemin pour l’islam, mais en Europe car en terre mahométane ils seraient relaps. Ce sont eux qui tiennent entre leur mains la modernisation possible – faisons le pari d’ y croire – de l’islam. Benoît XVI, dans son discours de Ratisbonne, a lancé un appel en faveur d’une réhabilitation de la raison comme instrument d’intelligibilisation des grandes traditions religieuses. Il a ainsi mis le doigt aux jointures du plus grand nœud de la “théologie” musulmane contemporaine. Le problème étant qu’il n’y a pas de véritable théologie, ni de véritable exégèse musumane en terre d’islam aujourd’hui, sauf dans quelques rares universités comme l’Ezzitouna de Tunis par exemple… Au IXe siècle à Bagadad, l’école des Mu’tazilites avait pourtant réussi à briser le tabou en défendant une méthodologie ressemblant un peu au libre examen et en avançant la thèse d’un “Coran créé”, expliquait en substance le magazine l’Hebdo dans un récent numéro. Dans ce même magazine, le sépcialiste du droit arabe et musulman Sami Aldeeb ajoutait que l’islam devait revenir à cet esprit pour favoriser une lecture du message coranique qui envisage “les circonstances historiques de son avènement pour distinguer dans le Livre sa part obsolète, caduque, et sa part pérenne, permanente”.
Vincent Pellegrini
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