mardi 17 janvier 2012

Le recul des vocations en Suisse et en Valais

EGLISE. Le catholicisme occidental connaît depuis des décennies une baisse constante du nombre de ses prêtres diocésains. Diagnostic et essai d’interprétation.

 Vincent Pellegrini

Les éditions  SPI viennent de publier un livre sur la pénurie de prêtres diocésains en Suisse. La partie analytique avec les résultats commentés est rédigée par Roger Husistein, collaborateur scientifique de l’Institut suisse de sociologie pastorale, à Saint-Gall, qui est à l’origine de cet  ouvrage.  Ce dernier comprend aussi des essais d’Arnd Bünker, Marc Donzé, Daniel Kosch, Pierre-Yves Maillard, Thomas Ruckstuhl et Martin Werlen.

Un manque

«Ces dernières années, une préoccupation se fait de plus en plus lancinante: Il s’agit de l’évolution de l’effectif des prêtres», explique  Roger Husistein qui constate: «Incontestablement, depuis quelques décennies, toujours moins d’hommes sont  ordonnés prêtres sous nos latitudes et le nombre de ces derniers a manifestement chuté.» Depuis 1970, le nombre des prêtres diocésains incardinés dans les évêchés suisses a diminué de près de la moitié. Et depuis 1991, on constate un recul d’un peu plus de 30%. «La diminution a été particulièrement sensible dans les diocèses de Bâle, Sion et Saint-Gall.»  Si l’on prend l’ensemble des évêchés suisses, le nombre de prêtres diocésains est passé  de 2877 en 1970 à 1441 en 2009.  Dans  le diocèse de Sion le nombre de prêtres résidants est passé de 243 en 1970, à 224 en 1980, à 196 en 1991, à 166 en 1998 et à 139 en 2009, soit une baisse de 29,1% de 1991 à 2009. Au cours des dix dernières années, on a enregistré en  Suisse 143 ordinations sacerdotales et plus de 500 décès de prêtres diocésains. Autrement dit, les prêtres qui meurent sont trois fois plus nombreux que ceux qui sont ordonnés. Pour Roger Husistein «il faut s’attendre  ces prochaines années aussi  à un nouveau recul du nombre des prêtres diocésains».

Diocèse de Sion

Si l’on considère les ordinations de prêtres diocésains rattachés à l’évêché de Sion, elles étaient de 12 entre 1990 et 1994, de 13 entre 1995 et 1999, de 5 entre 2000 et 2004, de 3 entre 2005 et 2009. Cela fait un total de 33 ordinations entre 1990 et 2009. La pyramide des âges  des prêtres diocésains pose problème et autorise certains pronostics. Ainsi,  l’âge moyen des prêtres diocésains en Suisse se situait, à fin 2009, à tout juste 65 ans. Un prêtre diocésain sur deux a dépassé l’âge de la retraite! Dans le diocèse de  Sion, le nombre de prêtres ayant plus de 65 ans était en 2009 de 64 pour  un total de prêtres incardinés de 128 et il y a en Valais 160 communes avec un clocher! Et pourtant la situation est meilleure en Valais qu’ailleurs avec une moyenne d’âge des prêtres de 62,9 ans! Coire, Sion et Lugano se distinguent nettement des autres diocèses dans la mesure où, parallèlement à un grand nombre de prêtres diocésains âgés,  le groupe des prêtres plus jeunes y est relativement important, dit l’étude. A l’heure du pronostic, Roger Husistein explique néanmoins qu’un nouveau recul de l’effectif des prêtres diocésains est plausible.
D’ici 2029

Selon l’étude il se peut, par exemple, qu’au cours des prochaines décennies, les évêchés de notre pays fassent appel encore plus fortement qu’aujourd’hui à des prêtres ou des candidats à la prêtrise étrangers afin de compenser partiellement le recul des effectifs. L’étude a fait un pronostic sur les diocèses suisses en 2029 avec pour présupposé que le nombre des ordinations sacerdotales correspondra à celui des dix dernières années et que le taux de mortalité des prêtres correspondra à celui de la dernière décennie. Le résultat de ces projections peut se résumer ainsi: le nombre des prêtres diocésains diminuera encore dans tous les évêchés suisses au cours des vingt prochaines années. En 2029, il y aura 37% de prêtres en moins qu’aujourd’hui. «Depuis 1991, le nombre de prêtres diocésains aurait ainsi chuté de plus de la moitié.» Pour le diocèse de Sion, l’étude table sur 77 prêtres en 2029, soit une diminution de 62,3% entre 1991 et 2029.  Et il n’y aurait plus dans le diocèse de Sion en 2029 que 54 prêtres de moins de 75 ans, ainsi que 36 prêtres de  moins de 65 ans... En 2019, ce sera 49 prêtres de moins de 65 ans.  Tout ceci aura des répercussions profondes sur les structures pastorales connues jusqu’ici. 

Pourquoi?

Roger Husistein avance quelques pistes pour expliquer la crise des vocations et souligne que quasiment aucune recherche de sciences sociales n’a été consacrée à ce phénomène. Il explique: «Il y de bonnes raisons de partir de l’idée que la faiblesse de la relève des prêtres est étroitement liée aux mutations qui se sont produites dans la société et dans l’Eglise en général au cours des dernières décennies. A l’évidence, il ne saurait s’agir d’un phénomène dû à une cause unique.» Il ajoute: «Les changements intervenus au sein de la société se reflètent par un fort recul de la pratique religieuse, par un analphabétisme  religieux croissant, ainsi que par une sécularisation de la société au sens d’un affadissement de l’autorité normative des Eglises.» L’auteur relève: «Une autre caractéristique de l’effritement du milieu ecclésial est  la tendance à  une déconfessionnalisation des grandes Eglises en Suisse. Dans la mouvance œcuménique, c’est depuis Vatican II, le tronc commun chrétien sur lequel on a tendu à insister.» Autres raisons: moins de familles nombreuses, l’individualisme, la disparition des petits séminaires, la survenance de diverses religiosités, l’incompréhension  du célibat consacré, etc. L’étude explique enfin que le Concile Vatican II a  mis en avant le ministère épiscopal  et reconnu au laïc sa qualité de sujet dans l’Eglise, mais que le prêtre s’est retrouvé dans une sorte d’errance.
Encadré

Une crise occidentale

A fin 2008, seul un quart des catholiques vivaient en Europe, tandis que plus de 40% résidaient en Amérique latine. Les catholiques africains représentent désormais 15%. L’étude montre que pour les prêtres les effectifs de prêtres ont reculé de 25% en Amérique du Nord depuis 1980 et de 20% en Europe. Par contre, dans la  même période, les effectifs de prêtres ont plus que doublé en Asie  et en Amérique latine, voire quadruplé en Afrique. Même en Europe les différences sont frappantes sur trente ans. Alors qu’en France et aux Pays-Bas le nombre de prêtres diocésains a diminué de plus de moitié, le recul a été moindre dans d’autres pays comme l’Allemagne (- 27%), l’Autriche (- 30%) et surtout l’Italie (- 18%). Une augmentation a même été mesurée en Tchéquie/Slovaquie (+ 4%) et surtout en Pologne (+ 56%).


jeudi 5 janvier 2012

Le Christ est pédagogue

LIVRE. Quand  un pédagogue et un théologien unissent leur talent pour décrypter les Evangiles.

Vincent Pellegrini

«A l’école du Christ pédagogue – Comment enseigner à la suite du Maître?», tel est le titre d’un livre que viennent de publier les éditions Saint-Augustin dans la collection Perspectives pastorales 5. Les auteurs sont le théologien François-Xavier Amherdt ainsi que le pédagogue Pierre Vianin. Françoix-Xavier Amherdt est professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Pierre Vianin est enseignant spécialisé, professeur à la Haute Ecole Pédagogique du Valais et rédacteur responsable d’un journal paroissial. C’est un spécialiste de la lutte contre l’échec scolaire. Interview croisée des deux auteurs.



Comment ce livre est-il né?



François-Xavier Amherdt: La collection perspectives pastorales a pour but de mettre à la disposition d’un public le plus large possible  les réflexions dans le domaine de la pastorale en lien avec certaines approches des sciences humaines, en l’occurrence la pédagogie.

Pierre Vianin: Ce livre est  un approfondissement de mon travail de diplôme réalisé après trois ans de Formation aux Ministères en Eglise du diocèse de Sion (FAME). J’étais limité dans le nombre de pages et il y avait de nombreuses pistes que j’aurais voulu explorer. Je l’ai fait dans ce livre avec  l’abbé François-Xavier Amherdt.

FXA: Le travail de Pierre Vianin m’a paru très intéressant dans son aspect  pédagogique. Je trouvais qu’il était bien en relation avec la pédagogie humano-divine du Christ, à la fois pleine de bonté et d’exigence.



Comment vous êtes-vous réparti le travail?



FXA : J’ai encouragé Pierre à faire une première synthèse sur les approches pédagogiques actuelles jusqu’à la page 65 du livre.  Cette partie peut toucher les parents, les enseignants et non seulement les catéchistes ou les agents pastoraux. Nous avons mené ensemble la réflexion sur la deuxième partie biblique en explorant cinq textes du Nouveau Testament où l’on voit la pédagogie du Christ à l’œuvre. Et j’ai rédigé la dernière partie sous la forme d’une synthèse théologique qui offre des applications aux catéchistes et enseignants religieux scolaires. Nous avons voulu que ce livre à deux voix ne rompe pas l’unité de la réflexion et reste très pratique.

Quelle approche pédagogique avez-vous choisie?



FXA: L’ouvrage s’appuie sur diverses approches pédagogiques qui restent complémentaires, que l’on mette l’enfant au centre ou que l’on privilégie la transmission du savoir.

PV: Nous avons plaqué sur les textes bibliques les clés de lecture pédagogiques. En faisant cela sur l’enseignement du Christ on redécouvre des aspects jamais vus auparavant.

FX: L’exégèse pédagogique commence sur les paraboles de Jésus. On voit bien que l’enseignement du Christ est diversifié selon les destinataires.

PV: Dans l’épisode des disciples d’Emmaüs, on voit par exemple que Jésus se fait proche des disciples ébranlés et qu’il est d’accord de marcher dans la mauvaise direction avec eux  dans un premier temps pour bien les comprendre. Et quand il les sent prêts  il les enseigne spécifiquement et ils reviennent sur leurs pas. Jésus applique la compréhension de l’élève et l’adaptation du discours. Prenons l’épisode de Zachée. Le Christ le valorise et lui donne ainsi une motivation intrinsèque. Zachée était la caricature du mauvais  élève, mais le Christ croit en son «éducabilité». Pour le Sauveur, il n’y a pas d’élève irrécupérable.



Vous partez donc d’exemples précis dans les Evangiles.



FXA: Oui, par exemple lorsque le  Christ dit aux disciples: «Pour vous qui suis-je?» C’est un questionnement et non un interrogatoire. La question est en effet formative et à la base d’un apprentissage.

PV: On voit  que le Christ questionne souvent et qu’il pose les questions fondamentales, les bonnes questions. Il oblige les disciples à se  positionner et les prend là où ils sont dans leur apprentissage pour les aider à cheminer plus loin.

FXA: Dans le miracle du paralytique l’agir et l’être du Christ sont cohérents. Le miracle est une ouverture vers la gratuité du salut et du don de Dieu, comme un signe offert à la liberté.

PV: Je suis frappé par le fait que l’enseignement du Christ est toujours une proposition, qu’il n’impose jamais.

FXA: La dernière partie du livre est une catéchèse d’engendrement. L’élève est engendré à sa véritable humanité et à la foi. Dieu divinise ce que nous avons humanisé. Le quatrième livre de la collection Perspectives pastorales parle de cette catéchèse d’engendrement.



Les deux derniers chapitres proposent des préceptes.

FXA: Les sous-titres montrent en effet bien le propos: le Christ adapte toujours son message au public auquel il s’adresse; le Christ respecte infiniment ses interlocuteurs; le Christ croit au principe «d’éducabilité»: il remet chacun debout; Le Christ part des représentations de chacun dans un esprit d’écoute, d’empathie et de non-jugement; le Christ questionne et sa vie pose question; le Christ n’hésite pas à enseigner avec autorité et à se montrer ferme si nécessaire; le Christ utilise la médiation par un  jeu de présence/absence; Le Christ est parfaitement cohérent dans son enseignement.

PV: Ce livre donne des pistes dans les attitudes pédagogiques à avoir pour une catéchèse d’engendrement: Adapter notre pédagogie aux destinataires dans une école du sujet; respecter infiniment chaque élève dans une école d’humanisation; croire à l’éducabilité des plus blessés dans une école d’espérance; partir des représentations des destinataires dans une école de l’écoute et de la relation; questionner aux carrefours de l’existence dans une école de la décision; éclairer l’espérance chrétienne dans une école de foi et de vie; savoir s’effacer pour rendre libre à l’école du Maître intérieur et enfin être témoin à l’école de la joie évangélique.



A l’école du Christ pédagogue

Editions Saint-Augustin

Pierre Vianin et François-Xavier Amherdt

293 pages

38 francs      

   

Société chrétienne

Cavalier seul



Vincent Pellegrini

-         Depuis sa création en 2004, l´Institut européen d´études anthropologiques Philanthropos, à Fribourg, ne cesse de voir le nombre de ses étudiants augmenter. L’institut est fréquenté par 23 étudiantes et 25 étudiants. Parmi les étudiants, il y a un religieux en formation à plein temps et une religieuse comme auditrice libre signale l’agence apic. De plus amples renseignements sont disponibles sur le site www.philanthropos.org. Cet institut mérite d’être mieux connu car il dispense des cours utiles pour se forger une anthropologie chrétienne. C’est Jean Paul II qui disait que la crise du monde occidental est une crise anthropologique. L’homme est en effet confronté à une hiérarchie des valeurs qui a changé.

-         Il y a peu, Benoît XVI a reçu les représentants de la Confédération des coopératives italiennes et de la Fédération italienne des banques de crédit coopératif.  Dans son discours, il leur a rappelé l'importance de la coopération catholique en Italie, à la suite de l'encyclique de Léon XIII, Rerum Novarum, dont on célèbre les 120 ans, nous explique l’agence VIS. Le pape a déclaré: «Ce document a favorisé la présence féconde des catholiques dans la société italienne, à travers la promotion de sociétés coopératives et mutuelles, le développement des entreprises sociales et de nombreuses autres œuvres d'intérêt public caractérisées par des formes de participation et d'autogestion. Cette activité a toujours été réalisée en vue d'un soutien matériel à la population, d'une attention constante aux familles, en s'inspirant du Magistère de l'Eglise». Le cœur de l'expérience coopérative, a-t-il ajouté, consiste "justement dans l'engagement de composer harmonieusement la dimension individuelle et communautaire.» On l’oublie trop souvent, la doctrine sociale de l’Eglise se développe aujourd’hui encore et se trouve à la base de nombreuses entreprises solidaires. Au lieu d’un affrontement de classes (syndicats-patrons), elle favorise la coopération et le respect mutuel. De plus, si l’économie écoutait l’Eglise, elle ne s’écroulerait pas dans l’univers impitoyable de la finance.