Le journal Le Monde a publié le 4 avril une intéressante recension du livre de Sylvain Gouguenheim intitulé: ARISTOTE AU MONT SAINT-MICHEL. LES RACINES GRECQUES DE L’EUROPE CHRÉTIENNE, éditions Seuil, “L’Univers historique”, 282 p.. Le critique Roger-Pol Droit conclut ainsi son article pour résumer cet ouvrage: “Somme toute, contrairement à ce qu’on répète crescendo depuis les années 60, la culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-chose à l’islam. En tout cas rien d’essentiel. Précis, argumenté, ce livre qui remet l’histoire à l’heure est aussi fort courageux.” Sylvain Gouguenheim est un historien médiéviste reconnu de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Son livre démythifie la croyance commune et partagée jusqu’au Conseil de l’Europe selon laquelle l’Occident aurait reçu ses savoirs essentiels (philosophie, médecine, mathématique, etc.) par le monde musulman qui avait préalablement traduit en arabe les textes des savants de la Grèce antique. Une Europe qui aurait soi-disant oublié juqu’au Bas Moyen Age et quasi à Saint Thomas d’Aquin ses racines hellénistiques, Aristote compris…. Le livre démontre qu’il n’y a jamais eu cette rupture des savoirs après l’effondrement de l’Empire romain. Il y a toujours eu des manuscrits de Gallien ou d’Aristote en grec dans les monastères européens et des gens capables de les déchiffrer à Rome, en Sicile, etc. Le grec, ne l’oublions pas, est la langue principale des livres des Evangiles(qu’on pense à la version de la Bible dite des Septante par exemple…). De plus, l’Eglise latine n’a jamais rompu ses liens avec Byzance et les manuscrits grecs circulaient. Aux VIIe et VIIIe siècles, il y a une série de papes d’origine grecque et syriaque. Pépin le Bref, au VIIIe siècle, se fait envoyer par le pape des textes grecs d’Aristote, etc. Sait-on que les moines du Mont-Saint-Michel ont traduit directement du grec en latin presque tout Aristote “plusieurs décennies avant qu’à Tolède (Espagne musulmane) on ne traduise les mêmes oeuvres en partant de leur version arabe”? L’occident est en fait allé cherché des textes qu’il connaissait déjà et il en fait un usage social, politique, philosophique (à travers l’élévation du rôle de la raison) que l’islam n’a pas poursuivi après son âge d’ouverture. Le Moyen Age a d’autant plus continuellement gardé son contact avec les sources grecques que l’exigeait la lecture des Evangiles et des Pères de l’Eglise (lesquels faisaient notamment référence aux philosophes païens). “L’Europe est restée constamment consciente de sa filiation à l’égard de la Grèce antique et se montra continuellement désireuse d’en retrouver les textes”, explique l’auteur de la critique. De plus, ce ne sont pas les musulmans qui ont fait le gros du travail de traduction de grec en arabe (Avicenne et Averroès par exemple ne comprenaient pas le grec), mais ces traductions ont surtout été faites par les chrétiens dits syriaques qui maîtrisaient parfaitement le grec et l’arabe. On l’oublie, mais arabe n’est pas synonyme de musulman… L’un de ces chrétiens araméens-syriaques (Hunayn ibn Ishaq) a ainsi créé au IXe siècle l’essentiel du vocabulaire médical et scientifique arabe en traduisant plus de 200 ouvrages de l’antiquité. A l’intérieur même de l’islam, la réception de la pensée antique a d’ailleur été ponctuelle et périphérique. L’auteur de l’article résume: “Sylvain Gouguenheim montre combien la réception de la pensée grecque fut au contraire sélective, limitée, sans impact majeur en fin de compte sur les réalités de l’islam qui sont demeurées indissociablement religieuses, juridiques et politiques.”
L’intellectuel palestinien Saqr Abou Fakhr avait bien mis aussi en évidence tout cela dans un article référence dont je parlerai demain.
Vincent Pellegrini
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