lundi 17 janvier 2011

La dernière leçon de Soljenitsyne

La dernière leçon de Soljenitsyne
Classé dans : Christianisme — Vincent Pellegrini @ 19:09
Le grand penseur et dissident Alexandre Soljenitsyne est mort. Celui qui a démonté de manière magistrale les mécanismes du communisme matérialiste et athée (après lui on ne pouvait plus être consciemment communiste en Occident), n’était plus en odeur de sainteté auprès de la médiocratie occidentale. Il faut dire que son dernier combat fut politiquement incorrect et fit de lui définitivement un dissident. L’auteur de l’Archipel du Goulag, a en effet pris pour cible à la fin de sa vie le matérialisme et “la sécularisation arrogante” de l’Occident capitaliste. Il y a en effet trouvé les mêmes matrices que dans le communisme. Il a d’ailleurs prôné depuis 1994 le retour aux valeurs morales pour son pays la Russie et pour le monde occidental. Son leitmotiv a été Dieu et la Patrie, ce qui n’a pas plu du tout à la nouvelle nomenklatura mondialisée qui rejoue à sa manière l’internationalisme marxiste afin de niveler les pensées et les économies. Il appellait l’intelligentsia occidentale “la tribu instruite”. Cette caste totipotente ne lui a jamais pardonné son discours dit d’Harvard sur la démission civilisationnelle et morale de l’Occident. Il y délivrait notamment cet avertissement: “Votre société ignore dans l’homme ses facultés les plus hautes; votre intelligentia est libre mais sans courage, soumise aux censures de la mode; votre univers est spirituellement vide et construit comme un complot contre toute vie intérieures…. Le moment est venu pour l’Occident de ne plus tant affirmer les droits des gens que leurs devoirs.”
Le 23 janvier 98, Soljenitsyne expliquait dans Le Figaro: “Nous assistons, dans le monde civilisé, à un processus…: une dispersion, voire une irrémédiable dilapidation des valeurs spirituelles”. Il parlait “d’épuisement” et de “massification” de la culture, d’une “chute du niveau général moyen de la culture”. Il précisait: “La cause essentielle, organique, du déclin de la culture auquel nous assistons est ailleurs. Elle est dans la sécularisation qui l’a vidée de sa sève. Depuis plusieurs siècles, l’anthropocentrisme habillé du nom plus flatteur d’humanisme, ne cessait d’accroître son emprise sur les esprits au sein de l’humanité instruite, et il est devenu quasiment totalitaire au XXe. Mais, en dépit de son assurance, il se montre incapable de donner des réponses à de nombreuses questions fondamentales de la vie, et plus ces questions sont profondes, plus grande est son impuissance. Du système des représentations et motivations humaines on élimine, en avançant toujours plus loin dans la destruction, la composante religieuse. Toute la hiérarchie des valeurs en est déjà altérée, toute la compréhension de l’essence de l’être humain et des buts de son existence. Et en même temps, l’homme est de plus en plus coupé du rythme, de la respiration de la nature, de l’univers. Ce danger avait été prévu par Blaise Pascal qui lançait en son temps cet avertissement: “L’essence ultime des choses n’est accessible qu’au seul sentiment religieux.”"
Comme elle ne savait comment faire taire Soljenitsyne, la tribu instruite l’a traité d’antisémite et de néofasciste, ce qu’il n’est pourtant aucunement. Mais cela a fort bien marché dans les rédactions. Plus personne ou presque n’a reparlé de Soljenitsyne, à l’exception notable, dans les grandes rédactions, du Figaro. Soljenitsyne disait en 1993 au Figaro précisément (dans un entretien éclairé à Franz-Olivier Giesbert): “C’est pas seulement cette fin de siècle qui est malade. Le processus a commencé au XIXe siècle. Il faut l’imputer à ce que j’appellerai l’appauvrissement des grands concepts et des grands sentiments. (…) Les hommes, dans leur agitation, ont perdu le sens des valeurs supérieures. D’où le désarroi actuel. (…) Le communisme donnait des réponses totalement inadéquates à des questions qui se posent toujours avec acuité. Il est par terre à peu près partout et il ne constitue plus un danger mais les injustices demeurent et l’on voit se développer une espèce de rapacité sans limite. Si l’humanité s’abstient de résoudre ces problèmes, rien ne dit qu’au XXIe siècle, on ne verra pas apparaître dans d’autres pays des phénomènes semblables au communisme. (…) Il faut accepter que l’humanité ne se développe pas dans un seul moule mais à travers des cultures souvent fermées qui ont, chacune, leurs lois propres. C’est une idée qui fut d’abord lancée par Danilewski au XIXe siècle avant d’être mise en avant, ensuite, par Spengler et Toynbee. Je crois que c’est la diversité du monde qui fait sa beauté. (…) J’ai pu observer à loisir dans le Vermont (red. USA où il a vécu) cette démocratie des petits espaces que j’aime tellement. (…)”
Alexandre Soljenitsyne a lancé, avec Jean Paul II et Benoît XVI, le dernier grand avertissement à ce monde épuisé. Sera-t-il entendu avant qu’il ne soit trop tard, avant que le nouveau totalitarisme des esprits n’ait tout effacé du monde ancien?
VINCENT PELLEGRINI
P.S. On peut lire une traduction et la majeure partie du fameux discours fait à Harvard par Soljenitsyne sur le blog de Patrice de Plunkett

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