mercredi 19 janvier 2011

Qu'est-ce que le Coran et l'islam. Interview

Le Coran de Sami Aldeeb

 Interview. Un chercheur lausannois révèle à travers un livre majeur des aspects souvent  méconnus du texte sacré des musulmans.

Par Vincent Pellegrini

Un livre n’est pas passé inaperçu dans le milieu des chercheurs spécialistes de l’islam. Publié aux Editions de l’Aire, à Vevey, le Coran arabe-français par ordre chronologique (versets classés dans l’ordre chronologique où ils ont été révélés) a de fait demandé cinq ans de travail à son auteur Sami Aldeeb. Ce chercheur ancien responsable du droit arabo-musulman à l’Institut de droit comparé à Lausanne tient d’emblée à préciser qu’il a réalisé cet ouvrage à titre privé. Le livre constitue en tout cas une première mondiale. Et il offre tant aux lecteurs intéressés qu’aux spécialistes d’autres exclusivités: indications des variantes du texte coranique, des versets abrogés, des diverses traductions possibles, ainsi que renvoi aux similitudes dans les écrits juifs et chrétiens. Pour la première fois, un livre que l’on peut tenir sous le bras contient ce qu’il fallait allait chercher auparavant dans une bibliothèque fournie. Il rend aussi la lecture du Coran beaucoup plus facile aux non-initiés et révèle par ailleurs des aspects de l’islam trop souvent ignorés.
Sami Aldeeb, tout d’abord une question préliminaire, quelle est la connaissance de l’islam chez les élites de notre pays?
Il n’y a pas de cours de droit arabe et musulman dans les universités suisses. J’enseigne cette discipline aux universités de Palerme et d’Aix-en-Provence, mais  lorsque j’ai proposé mes cours aux facultés de droit, de théologie et de science politique de Suisse, personne ne s’est montré intéressé. C’est inquiétant car cela signifie que nos universitaires, nos politiciens et les hommes d’Eglise ne connaissent pas assez ce dont ils parlent et ne sont pas préparés à intégrer dans notre pays une population musulmane toujours plus nombreuse. Or, le droit islamique pose des problèmes concrets à notre société occidentale comme le droit de la famille, les cimetières, la liberté religieuse, l'abattage rituel, etc. Il faut connaître les sources du droit musulman pour traiter les revendications des musulmans sur le plan juridique. Or, pas un seul juriste ne sort des facultés de droit helvétiques en ayant étudié cela...
Pourtant, on parle de former des imams en Suisse pour éviter l’islamisme...
Actuellement, comme je vous l’ai expliqué, nous n’avons pas les compétences universitaires pour le faire. Si l’on forme des imams en Suisse, l’enseignement donné par d’autres imams  risque donc d’être incontrôlable.
Venons-en à votre livre, pourquoi un Coran chronologique?
Les versets du Coran ne sont pas classés selon l’ordre chronologique de leur révélation, ce qui rend sa lecture difficile. En résumé, selon la tradition, 15 à 20 ans déjà après la mort de Mahomet, le Califat a ordonnancé les chapitres et versets du Coran. On a alors placé au début du livre les chapitres les plus longs alors qu’ils ont été révélés plus tard (de 622 à 632 après J-C dans notre calendrier), soit durant la période de Médine où Mahomet était devenu également un chef d’Etat. Cela explique que ces chapitres contiennent surtout des normes légales. Les versets y sont plus sévères car ils règlent les guerres, la société, etc. Par contre, les chapitres suivants du Coran correspondent à la première période de Mahomet prophète (à la Mecque, révélation de 610 à 622). Ces chapitres sont plus poétiques et moralisateurs. Bref, selon la chronologie on lit actuellement le Coran à l’envers  ce qui le rend peu compréhensible au profane. J’ai remis cela à l’endroit en me servant des indications de l’université al-Azhar, au Caire, qui fait autorité dans  l’islam sunnite..
Quel est l’intérêt de cet ordre chronologique?
L’on voit ainsi comment s’est  développée la révélation, comment elle a évolué de la partie  prophétique et poétique à la partie plus légaliste. Il y a d’ailleurs un courant de l’islam - qui n’est certes pas admis dans les universités du monde musulman mais qui se fait entendre sur l’Internet notamment - qui préconise de s’en tenir surtout à la première partie du Coran, moins violente et plus prophétique.  Cela permettrait de replacer les normes islamiques dans leur contexte historico-culturel et de réinterpréter le Coran pour n’en appliquer que les principes moraux et universels. La plupart des intellectuels libéraux musulmans se relient à ce courant appelé «coraniste» qui consiste à revenir à un islam «pur». Pour l’instant, ils ne peuvent s’exprimer vraiment publiquement qu’en Europe.
Mais il y aussi à côté du Coran, les hadiths, ces faits et gestes de  Mahomet  qui sont contenus dans  d’innombrables recueils formant la Sunnah, la tradition...
Oui, et ils influencent beaucoup la charia ou droit musuluman dont ils sont la deuxième  source. La  lapidation des femmes adultères ou la mise à mort des apostats par exemple se  trouvent dans  les  hadiths et pas dans le Coran. Un  autre  courant coraniste, lui aussi rejeté par l’islam officiel, propose d’enlever de la Chariah tout ce qui n’est pas dans le Coran.
Vous avez aussi fait pour votre livre la traduction en français du Coran. Pourquoi ne pas avoir utilisé les traductions existantes?
Il n’y aucune traduction française harmonisée. Il faut dire en outre que beaucoup de versets du Coran, dont le texte peut être très laconique pour ne pas dire lacunaire, sont difficiles à traduire, voire parfois intraduisibles. Je me suis donc référé également à une vingtaine d’autres traductions et j’ai montré en notes les traductions divergentes. J’ai indiqué aussi les variantes du texte coranique, d’ailleurs admises par les autorités musulmanes. Plus de la moitié des versets du Coran ont subi des variantes. Certains mots ont même  subi plus de dix variantes avec modification total du sens! Le Coran  n’est donc pas immuable. J’ai aussi indiqué dans  mon livres tous les versets considérés comme abrogés par les juristes musulmans classiques. Le Coran dit lui-même que des versets sont abrogés mais ne  dit pas lesquels... En principe ce qui est révélé plus tard abroge ce qui a été révélé avant s’il y a contradiction. Mais il y a débat en islam sur ce sujet entre libéraux et conservateurs. Ce sont  surtout les intégristes qui utilisent ce principe de l’abrogation en privilégiant certains versets politiques et sévères de la période plus récente de Médine.  

Question impertinente (encadré, cela fait partie du jeu de la grande interview)

En fait, en éditant votre Coran traduit et annoté vous n’aviez pas seulement en tête d’en faciliter la lecture...
Oui, le but est aussi de fournir aux chercheurs et aux étudiants musulmans un outil polyvalent, pratique et respectueux de leur tradition pour les aider à lire correctement le Coran et à développer leur esprit critique. Auparavant cet instrument n’existait pas. C’est maintenant aux musulmans de construire leur réflexion sur ces bases objectives.

Repères

1949: naissance de Sami Aldeeb (nom complet Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh) en Jordanie (Cisjordanie actuelle), dans une famille chrétienne palestinienne (langue maternelle arabe); études dans son pays.
1970: grâce à ses bons résultats, Sami Aldeeb, obtient une bourse pour étudier en Europe, à la Faculté de droit de l’Université de Fribourg.
1974: licence en droit à Fribourg.
1976: diplôme universitaire en sciences politiques aux Hautes Etudes Internationales de Genève.
1979: doctorat en droit à Fribourg obtenu summa cum laude sur le statut juridique des non-musulmans dans les pays musulmans.
1980: entrée à l’Institut suisse de droit comparé de Lausanne (institut fédéral) où Sami Aldeeb travaillait jusque récemment comme responsable du droit arabo-musulman et où il a constitué la plus grande bibliothèque européenne de livres traitant de ce sujet. Nombreux ouvrages publiés. Site personnel http://www.sami-aldeeb.com

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