mercredi 19 janvier 2011

Du bouddhisme au christianisme

De l’enfer à la foi
TÉMOIGNAGE  Soumise aux travaux forcés par les Khmers rouges de 1975 à 1979, la philosophe cambodgienne Claire Ly s’est convertie du bouddhisme au catholicisme. Et prône une voie originale.

PAR VINCENT PELLEGRINI

La professeure de philosophie Claire Ly,
cambodgienne bouddhiste convertie au
catholicisme, a livré un témoignage personnel
poignant dimanche dernier à
Saint-Maurice lors des Rencontres Saint
Nicolas et Dorothée de Flüe. Claire Ly vit
en France depuis 1980 où elle s’est réfugiée
après avoir passé quatre ans dans les
camps de «travail et de purification» des
Khmers rouges (elle a perdu une grande
partie de sa famille dans le génocide).
Claire Ly enseigne actuellement le bouddhisme
à l’Institut de Sciences et Théologie
des Religions de Marseille. Son premier
livre, «Revenue de l'enfer», publié
aux Editions de l'Atelier en 2002, évoque
son parcours.
La loi du karma
Pour les asiatiques, le discours le plus
fort est celui qui se base sur l’expérience
et la sagesse acquise au fil des ans. Au
Cambodge, quand on salue quelqu’un,
on place d’ailleurs ses mains jointes d’autant
plus haut sur son front que la personne
saluée est âgée. C’est ce témoignage
d’un long vécu que Claire Ly, aujourd’hui
âgée de 63 ans, a choisi. Et son
expérience est à la fois terrible et porteuse
d’espérance. Elle a en effet souffert dans
son pays, le Cambodge, du massacre de
20% de la population organisé par les
Khmers rouges qui voulaient «une société
nouvelle». Ils l’ont «épurée» de tous les intellectuels
et notables. Claire Ly était professeure
de philosophie. Son mari, son
père, ses deux frères et son beau-père ont
été fusillés dès le premier jour. Elle a été
envoyée dans un camp de travaux forcés
avec son fils de 3 ans et alors qu’elle était
enceinte de trois mois. Elle a ainsi été
confrontée à la question lancinante d’un
mal injuste et disproportionné. Elle a expliqué:
«J’étais bouddhiste et l’explication
était donc la loi du karma – de rétribution
des actes – disant qu’un acte posé va forcément
amener un effet positif ou négatif selon
la nature de cet acte. Les Khmers rouges
ont instrumentalisé cette loi du karma
pour dire aux détenus qu’ils méritaient
leur sort, qu’ils récoltaient les effets d’actes
mauvais posés avant. C’était terrifiant, ils
rendaient les victimes responsables de leur
mort. Il n’y avait même plus de bourreau.
Comme bouddhiste j’ai donc vécu un
échec spirituel important.»
Le bouc émissaire
Que va dès lors faire Claire Ly dans ce
camp inhumain des Khmers rouges où
elle est restée prisonnière de 1975 à 1979?
Elle se souvient: «Je me suis révoltée et j’ai
introduit une rupture dans la loi du
karma. Mais dans le bouddhisme, quand
on refuse d’endosser le mal, les choses deviennent
très compliquées.Et aucune force
morale ne peut tenir face à la cruauté des
Khmers rouges. Moi j’ai tenu par ma
haine. Mais comme le bouddhisme demande
de ne pas répondre à la violence
par un sentiment mauvais dans le coeur –
ce serait poser des actes mauvais qui rendraient
la vie suivante encore plus misérable
– j’ai utilisé une porte de sortie que
donne le bouddhisme. Faute de pouvoir
extérioriser cette haine, j’ai construit un
objet mental, bouc émissaire sur lequel j’ai
jeté tout ce qu’il y avait de mauvais et de
haine en moi. Et cet objet mental était le
Dieu des occidentaux car l’Occident était
coupable du marxisme des Khmers rouges
qui n’est pas né dans la culture asiatique,
mais est une hérésie de la culture judéochrétienne.
J’ai vécu deux ans avec ce bouc
émissaire mental.»
Le «Dieu des occidentaux»
Mais un chemin se fait dans cet enfer.
Claire Ly comprend peu à peu que l’explication
du karma ne répond pas à l’énigme
du mal. «Je me suis alors créée un espace
paradoxal de liberté intérieure qui m’a
permis de vivre l’irruption du Dieu des occidentaux.
»
Elle témoigne: «J’ai compris dès 1977
que le Dieu des occidentaux n’était pas
seulement mon bouc émissaire mental,
mais qu’en fait il m’accompagnait dans
ma haine et ma colère. J’avais ce sentiment
d’être accompagnée sans avoir les mots
pour en parler.Cela s’est fait dans le silence
et ce fut l’irruption de quelque chose d’invisible
dans ma vie que je n’arrivais même
pas à pressentir. Je n’ai pas trouvé pour autant
le paradis et je ne suis sortie de l’enfer
khmer qu’en 1979. Cependant, dès 1977
j’ai vécu l’ouverture fraternelle à la souffrance
des autres.»
Un nom
sur la divinité
Lorsqu’elle arrive en 1980 comme réfugiée
en France, Claire Ly ne met toujours
pas de nom sur ce Dieu des occidentaux
qui l’a mystérieusement accompagnée
dans les camps khmers.
«C’est une rencontre fortuite avec
l’Evangile qui m’a donné des mots pour
décrire cette première rencontre datant de
1977. Je suis alors arrivée à faire le récit de
mon vécu.En tombant par hasard sur l’encyclique
de Jean Paul II traitant de la miséricorde.
La professeure de philosophie que
j’étais a voulu vérifier l’argumentation et
pour cela il me fallait le livre de référence,
les Evangiles... C’est alors que j’ai rencontré
Jésus de Nazareth. Je me suis dit tout de
suite: c’est un grand maître, aussi grand
que Bouddha. J’ai compris ensuite que
c’était lui qui m’avait rendu ma liberté, sa
liberté. Il m’a donné aussi l’audace d’exposer
ma souffrance dans le sens d’une offrande.
»



«Le dialogue intra religieux que
je mène en moi permet à la
catholique que je suis l’accueil
spirituel de la bouddhiste
que j’étais»
CLAIRE LY, PHILOSOPHE
DIALOGUE INTRA RELIGIEUX
Claire Ly a expliqué que si la première valeur
occidentale c’était la liberté, en Asie c’était
l’harmonie. «D’où le malentendu entre les
deux cultures quand on parle de droits de
l’homme par exemple.» Et d’ajouter: «Comme
nouvelle chrétienne, j’ai dû construire une harmonie
dans mon histoire personnelle, donc entrer
en dialogue avec la bouddhiste que j’étais
avant. J’ai dû conduire en moi-même un dialogue
intra religieux car deux grandes voies spirituelles
se rencontraient dans ma personne.
Mais il faut une grande maturité spirituelle
pour cela. Il m’a fallu du temps et de la maturation
chrétienne pour que le Christ universel
me renvoie à ma tradition d’origine. Aujourd’hui,
je puis affirmer que je suis chrétienne,
sans contestation possible, mais je
dois chercher l’harmonie entre celle que j’étais
et celle que je suis aujourd’hui. Afin de ne pas
être une femme sans mémoire mais une
femme qui fait mémoire de ce qu’elle était.
Comprenez-moi bien. On ne peut pas être à la
fois chrétienne et bouddhiste, ce n’est pas
possible. Je suis une catholique venue du
bouddhisme. Le dialogue intra-religieux que je
mène en moi permet à la catholique que je suis
l’accueil spirituel de la bouddhiste que j’étais.
C’est l’hospitalité chrétienne du coeur. Le Ressuscité
nous a déjà précédé dans d’autres cultures
comme il a précédé les disciples en Galilée.
»

EN BREF
COMMENTAIRE

1 commentaire:

  1. Je respecte le témoignage bouleversant de cette femme qui a vécu une épreuve terrible, et qui a fait preuve d'un immense courage.
    Elle a attendu 20 ans pour parler ouvertement de sa conversion. J'ai une profonde admiration pour cette capacité à laisser le temps vérifier ce que l'on découvre avant d'aller témoigner.

    Ce qui m'interpelle, c'est que je suis un chrétien qui est bouleversé depuis 12 ans par l'enseignement du bouddhisme.


    "On ne peut pas être à la fois chrétienne et bouddhiste, ce n’est pas possible. Je suis une catholique venue du bouddhisme"

    Cette affirmation n’a qu’une seule vérité possible : elle provient d’une expérience de ce dialogue intra-religieux. La théologie n’a aucune place pour moi dans cette question.
    Je n'affirme rien pour ce qui me concerne. C'est trop tôt.

    Je dirai simplement que je suis concerné par ce qu'elle appelle le dialogue intra-religieux.

    Je dirai pour l'instant que le dialogue intra religieux que je mène en moi m’invite à l'humilité, à la simplicité, à la joie.

    Bruno

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