Le philosophe Denis Sureau vient de faire paraître aux éditions « Parole et Silence » un essai intitulé : « Pour une nouvelle théologie politique » qui sortira d’ailleurs le 4 décembre chez les diffuseurs suisses. Denis Sureau est un fin connaisseur de la nouvelle pensée chrétienne anglo-saxonne développée dans certaines universités sous l’appellation de « radical orthodoxy ». C’est une synthèse très originale de pensée contemporaine allant creuser aux sources des grands penseurs de l’antiquité et des philosophes chrétiens anciens, sans oublier la patristique, pour les remettre au goût du jour dans une dialectique et une pensée adaptées au monde d’aujourd’hui (mais sans tomber dans le copié-collé des idées et du vocabulaire relativistes contemporains) . Bref c’est une véritable synthèse conjuguant le passé et le présent dans un monde qui ne propose plus que des systèmes. Voici quelques extraits de l’introduction du dernier livre de Denis Sureau (voir des extraits plus complets en cliquant sur ce lien vers le fichier web) Vincent Pellegrini
« La raison séculière n’est pas la raison en tant que telle mais seulement un mode contingent, conditionné historiquement, d’une raison limitée, rétrécie. Son caractère réducteur explique pourquoi elle n’a pu produire un monde de paix, de liberté et de joie. En mutilant l’homme concret, elle s’est avérée incapable de fonder une réelle sociabilité. Fondée sur la violence, elle finit en violence (Milbank). Une violence suicidaire, la violence des désespérés qui révèle par son ampleur l’inadéquation du projet libéral à l’être de l’homme. Aujourd’hui exténuée intellectuellement, épuisée moralement, il ne lui reste que le pouvoir. Mais tout le pouvoir. Dépouillée de l’illusion de sa rationalité, la raison séculière n’est plus que l’ornement de la nouvelle barbarie et du nouveau totalitarisme, cette ère du vide décrite par Gilles Lipovetsky, « les ténèbres qui nous entourent déjà » évoquées par Alasdair MacIntyre. De la description des effets il faut remonter aux causes, reconstituer une généalogie du séculier. Et pour ce faire, il importe de retourner en arrière, bien au-delà du siècle des Lumières, jusqu’au moyen âge finissant où commence un processus de fragmentation de la synthèse chrétienne. Lasécularisation a pour origine la transformation de la distinction nécessaire de la nature et du
surnaturel en une séparation entre deux ordres de réalité (Lubac). Cette compartimentation vient d’un oubli progressif de la doctrine de la participation de toutes les créatures à leur Créateur (Milbank, Pickstock). Le monde moderne est un monde éclaté, un monde de la fragmentation, un monde où la nature se sépare de la grâce, le naturel du surnaturel, le culturel du religieux, le spirituel du temporel, la spiritualité de la théologie, la philosophie de la théologie, l’éthique de la révélation, etc. Dans la modernité, à chaque zone de la réalité correspond, de manière autonome, un type de connaissance. La passion pour la compartimentation est l’un des traits les plus caractéristiques de la raison séculière (MacIntyre). Elle a été développée par le libéralisme au profit des intérêts marchands. Distinguer le politique de l’économique revient à défendre le « libre marché » de l’ingérence de l’État. Il est donc désormais pensable de combiner un idéal d’égalité politique sans pour autant dénoncer les inégalités économiques (les philosophes des Lumières, tel Voltaire, se sont surpassé sur ce point). En libéralisme, la morale tend aussi à n’être qu’un domaine bien délimité, restreint aux relations personnelles. Et plus encore la « religion », dont l’usage courant actuel du concept a été inventé à l’orée du monde moderne pour soumettre l’Église à l’État (Cavanaugh). En devenant une sphère particulière de l’activité humaine à côté d’autres sphères (comme la philosophie, la morale, les arts et les sciences), la « religion » se coupe des réalités humaines qu’elles devrait pourtant vivifier non de l’extérieur mais de l’intérieur. Henri de Lubac écrivait : « Voulant protéger le surnaturel de toute contamination, on l’avait, en fait, exilé, hors de l’esprit vivant comme de la vie sociale, et le champ restait libre à l’envahissement du laïcisme. Aujourd’hui, ce laïcisme, poursuivant sa route, entreprend d’envahir la conscience des chrétiens eux-mêmes. » Au terme de l’évolution occidentale, la « religion » n’est plus une forme authentique (sinon éminente) de connaissance du réel mais seulement le domaine purement privé et subjectif du sentiment et de la préférence personnelle. Et l’Église n’est plus perçue comme Corps du Christ, Peuple de Dieu, sacrement de l’unité de l’humanité, mais comme un regroupement – parmi beaucoup d’autres – d’individus partageant certaines croyances (au demeurant de plus en plus floues) et certaines valeurs successivement énoncées sur le mode kantien de la morale de l’obligation puis sur le mode relativiste de l’éthique personnelle. Le sécularisme envahit les
pratiques internes de l’Église, son gouvernement comme sa liturgie (Nichols, Pickstock). »
21 novembre 2008
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