vendredi 28 janvier 2011

Le minaret,révélateur politique



Le minaret,révélateur politique
GÉOPOLITIQUE RELIGIEUSE (5) La revendication autour des minarets risque d’importer en terres helvétiques le conflit entre sunnites et chiites.

Par Grégoire Sommer, historien des religions,
pour la page religions du Nouvelliste le 25 avril 2009




Dans quelques mois, les Suisses
seront amenés à se prononcer
sur l’initiative contre les minarets
lancée par des élus UDC
et UDF (ndlr une majorité du peuple suisse a dit oui à l'interdiction de nouveaux minarets). Deux types d’arguments
s’affrontent. D’une part,
les pro-minarets argumentent
en faisant valoir que le minaret
est similaire dans sa fonction
au clocher. On a même prétendu
que le minaret s’inspire
du clocher chrétien en Syrie et
s’inscrit donc dans une tradition
ancienne pré-islamique.
De ce point de vue, la question
du minaret en Suisse devrait
être réglée par la législation
déjà en place pour réglementer
les constructions: «Il n’y a pas
de raison de s’écarter de ce système
éprouvé pour ce qui est des
édifices d’une communauté
religieuse».
Les opposants au minaret y
voient par contre une revendication
de l’islam politique et
conquérant. Pour étayer leur
argumentation, ces derniers
citent les propos du premier
ministre turc actuel Recep
Tayyip Erdogan: «Notre démocratie
est uniquement le train
dans lequel nous montons
jusqu’à ce que nous ayons
atteint notre objectif. Les mosquées
sont nos casernes, les
minarets sont nos baïonnettes.
Les coupoles nos casques et les
croyants nos soldats.»
L’affrontement de ces deux
types d’arguments va déboucher
sur des débats que l’on
peut déjà présager comme
houleux et animés.
Pas dans le Coran
Première remarque: le minaret
n’est pas une prescription
coranique. Nulle part dans le
Coran ou dans les Hadith (ensemble
des paroles, actes et approbations
du Prophète), Mahomet
ne parle de minaret. Du
reste, les salafistes, c’est-à-dire
les musulmans qui veulent revenir
à l’héritage strict de Mahomet,
critiquent fortement la
présence des minarets dans les
mosquées. Il faut d’ailleurs attendre
les premières conquêtes
de l’islam, après la mort de
Mahomet, pour voir apparaître
le minaret, dans un contexte
qui est celui de l’expansion militaire
de l’islam.
Contrairement à l’avis de
Tarik Ramadan, le minaret n’est
donc pas un élément obligatoire
ou recommandé de l’architecture
cultuelle musulmane,
même si les théologiens
de l’islam ont été grandement
unanimes à juger le minaret
comme une bonne innovation
technique. Notons au passage
que l’argument de certains des
pro-minarets, à savoir que le
minaret n’est somme toute
qu’un clocher chrétien musulmanisé,
est erroné. Il faut attendre
quelque sept à huit siècles
après la mort du Christ
pour voir s’édifier les premiers
clochers. Ainsi, c’est vers 750
qu’a été construit à Rome, au
Latran, le premier clocher.
Le minaret ne fait donc pas
l’unanimité chez les musulmans
eux-mêmes, à commencer
par les plus fondamentalistes
d’entre eux, à savoir les salafistes.
En revendiquant la tradition
stricte établie par Mahomet,
ils critiquent vivement le
minaret.

Instrument de réislamisation

Dans certains pays, la question
du minaret est d’autant
plus sensible qu’elle est liée à
une politique de réislamisation
des musulmans considérés
comme «égarés», à savoir les
chiites. Ainsi, en Turquie, le
Diyanet (ministère étatique
chargé de toutes les affaires religieuses)
s’efforça de faire
construire des mosquées avec
des minarets dans les villages
alévis (d’obédience chiite), jusque-
là reconnaissables à l’absence
de mosquée et de minaret.
Le Diyanet s’employa ainsi
à consolider sa stratégie de réislamisation,
voire de sunnisation,
en tentant de montrer que
l’alévisme n’est qu’une variante
du sunnisme et que Hadji Bektash
(figure centrale de l’alévisme)
est en réalité sunnite.
Ces thèses ont été défendues
avec force par un certain nombre
d’auteurs sunnites. Soutenus
par les intellectuels de gauche,
les Alévis ont réagi contre
la stratégie du Diyanet qui, pas
plus que les Ottomans malgré
leurs efforts séculaires, n’a
réussi finalement à «sunniser
les Alévis».

Le jeu du Diyanet
en Suisse

On voit par l’exemple turc
comment le minaret a pu être
instrumentalisé dans le cadre
d’une politique d’appropriation
du leadership sunnite sur
les minorités chiites. Nous
avions déjà souligné samedi
dernier que les conflits entre
chiites et sunnites pouvaient
être exportés dans des pays
d’immigration. Par exemple, en
Allemagne où l’immigration
turque est importante, les
conflits entre chiites et sunnites
sont quasi quotidiens. Or, là où
le bât blesse, c’est qu’une partie
importante des Centres culturels
musulmans en Suisse
(mosquées) sont fortement
influencés de fait par les Turcs
sunnites. La majorité de la
communauté musulmane en
Suisse (4/5e) est par ailleurs
constituée de ressortissants
turcs et de l’Ex-Yougoslavie.
Alors qu’il y a vingt ans, on
connaissait trois mosquées en
Suisse (deux à Genève, une à
Zurich), on en compte désormais
près de nonante, que l’on
appelle généralement «centres
culturels musulmans». Or, une
partie importante de ces centres
sont influencés directement
par le Diyanet, le Ministère
des cultes, à travers un
représentant au consulat turc
de Zurich.

Le problème turc

Ce n’est pas la laïcité turque
qui peut servir de garant aux
dérapages du Diyanet, y compris
en Suisse. En effet, le Diyanet
dépend directement du
premier ministre turc. Actuellement,
c’est M. Erdogan, de
l’AKP, issu de la scission d’un
ancien parti, le Refah. Il y a peu,
des dizaines de milliers de personnes,
en majorité des étudiants
et des professeurs, ont
manifesté au mausolée du fondateur
de la Turquie laïque,
Mustafa Kemal Atatürk, pour
dénoncer les arrestations de
personnalités pro-laïques. Sept
personnes ont été inculpées
dans le cadre de l’affaire Ergenokon,
un «complot» présenté
par le pouvoir en place comme
une tentative de discréditer le
Parti de la justice et du développement
(islamique) du premier
ministre actuel. Les accusés
(pro-laïcs) sont soupçonnés
d’avoir voulu renverser le Gouvernement
islamo-conservateur
du premier ministre Recep
Tayyip Erdogan.

Répercussions
inévitables

Le minaret n’est donc pas
un élément architectural simple.
Sa revendication par des
centres culturels influencés de
fait par le Diyanet, s’inscrit dans
des visions politiques où se
jouent la question de la laïcité
en Turquie et les relations entre
chiites et sunnites. Accepter
le minaret revient ainsi à faire le
jeu du sunnisme au détriment
des chiites alévis et à importer
une problématique dont la
Suisse pourrait faire l’économie.
Gageons sur notre bonne
foi, que la législation en matière
de construction sera bien incapable
de donner des réponses
crédibles à la question si sensible
du minaret en Suisse.

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