mercredi 19 janvier 2011

Sunnites contre chiites pour détenir le leadership


Sunnites et chiites:

guerre du leadership
GÉOPOLITIQUE RELIGIEUSE (1)   Les fractures historiques de l’islam se répercutent dans les conflits d’aujourd’hui.



Par Grégoire  Sommer
historien des religions



L’intervention militaire d’Israël
dans la bande de Gaza a
frappé l’opinion publique par
sa violence. Si la rue arabe a
manifesté avec force sa colère
et qu’elle a appelé à la vengeance
contre l’agresseur, les
capitales du Proche et du
Moyen-Orient ont observé une
prudence de circonstance et
ont adopté des positions
contradictoires ou divergentes.
On a expliqué que ces différences
de position étaient le fait
d’un clivage dans le monde
arabe opposant les «modérés»
ou «pro-Occidentaux», comme
l’Egypte ou l’Arabie Saoudite
aux «radicaux» avec l’Iran ou la
Syrie. On aurait affaire à un
monde musulman «pro-occidental
» face à un monde musulman
«anti-occidental». En
fait, les choses obéissent à des
logiques différentes qui tiennent
avant tout au clivage dans
le monde musulman entre chiites
et sunnites. Certes, ce clivage
ne date pas d’aujourd’hui.
Il remonte très précisément à
l’origine de l’islam au VIIe siècle
de notre ère, au moment où
la communauté musulmane
(l’oummah) a dû se pencher
sur la question de la succession
de Mahommet (on expliquera
dans le prochain article ce qui
différencie le chiisme du sunnisme).
Un problème ancien
Mais, il faut attendre le XVIe
siècle pour que le chiisme devienne
un facteur géostratégique.
Et il ne le deviendra qu’au
moment où il va pouvoir
s’identifier à l’Empire iranien.
Par un processus de «chiitisation
» de l’Iran, qui était alors
sunnite, la dynastie des Safavides
(1501-1727) put constituer
une force musulmane suffisamment
crédible pour contrebalancer
dans la région l’influence
des Ottomans à majorité
sunnite. C’est donc seulement
au XVIe siècle que l’islam
chiite décide de devenir une
force politique en Iran. Un phénomène
similaire, mais de portée
moindre, s’est produit avec
les Fatimides, d’obédience
chiite, qui, du XIe au XIIIe siècle
ont imposé leur pouvoir en
Egypte. Notons au passage
qu’en 1071, lorsque le turc sunnite
Alp Arslan vainquit l’empereur
byzantin à Manzikert,
près du lac de Van (actuellement
Turquie), il s’employa à
négocier très rapidement les
conditions de la paix avec ce
dernier, car son réel objectif
était l’élimination du pouvoir
fatimide chiite en Egypte. Du
reste, les chiites Fatimides sont
restés l’ennemi principal des
atabeks sunnites de Mossul qui
étaient pourtant en guerre
contre les croisés en Terre
Sainte. On voit bien que la ligne
qui sépare les chiites des sunnites
est en même temps la frontière
qui partage le monde musulman
en deux.
Frontière stratégique
C’est le traité de Qasr-e-Shirin
négocié en 1639 entre les
Ottomans et les Iraniens qui
fixe durablement la frontière
entre une zone à majorité chiite
et une zone à majorité sunnite.
Elle va de la Transcaucasie au
golfe Persique; le seul point litigieux
ayant été l’estuaire commun
du Tigre et de l’Euphrate
dans le golfe Persique, le Chatt
el Arab. C’est cette frontière qui
du reste a été le prétexte de la
guerre entre l’Irak et l’Iran en
1980. Politiquement, cette
frontière a une grande importance,
puisqu’elle sépare depuis
1639 le monde arabe sunnite
du monde chiite iranien.
C’était l’un des seuls éléments
stratégiques stables de la région.
Or, avec l’intervention
militaire des Américains en
2003, cette frontière n’existe
plus. La vraie frontière divise
désormais, à l’intérieur de
l’Irak, les chiites et les sunnites.
D’où les attentats qui ont pour
vocation d’entraîner des déplacements
de population vers des
zones démographiquement
homogènes.
Exportations d’influence
En parlant de zones à majorité
chiite ou sunnite on est
amené à parler de zone d’infiltration
chiite ou sunnite. C’est le
cas des Alaouites chiites qui
contrôlent le pouvoir en Syrie,
alors qu’ils se trouvent minoritaires,
10% de la population, et
théoriquement en zone sunnite;
c’est aussi le cas des Alévis
en Turquie, théologiquement
proches des Alaouites ou c’est
encore le cas du Hezbollah au
Liban. Les zones d’influence
peuvent donc s’étendre à des
zones traditionnellement contrôlées
par des mouvements opposés.
Par exemple le Hamas, au
pouvoir dans la bande de Gaza
et qui est une émanation des
Frères musulmans égyptiens,
est soutenu par l’Iran et de fait
considéré comme le cheval de
Troie en terre sunnite des Iraniens
chiites.
La loi du pragmatisme
La religion n’est pas seule
en cause. Le pragmatisme politique
joue aussi en plein. Par
exemple, lorsque Nasser se
donna pour objectif de s’emparer
du contrôle de la mer Rouge,
il parvint à susciter au Yémen
une révolution républicaine
sunnite pour déstabiliser et éliminer
le régime chiite au pouvoir.
L’Arabie Saoudite est alors
intervenue pour soutenir l’imamat,
le régime chiite, alors que
les chiites sont les ennemis héréditaires
du wahhabisme sunnite,
la religion officielle d’Arabie
saoudite.
L’explication religieuse
Lorsque le Hamas a préféré
s’allier à l’Iran chiite, l’Arabie
saoudite sunnite s’est sentie
trahie. C’est dans cette perspective
qu’il faut comprendre
le soutien de certains pays arabes
modérés à l’intervention israélienne
et au souhait de voir
la chute du Hamas. Quoi qu’il
en soit, la compréhension de la
situation au Proche-Orient ne
peut se réduire à une simple
opposition entre pays musulmans
pro-occidentaux ou antioccidentaux.
Elle ne peut faire
l’économie d’une analyse des
origines religieuses et politiques
de l’opposition entre
chiite et sunnite. La question
du Hamas en est excellent révélateur.
GRÉGOIRE SOMMER

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