2007
Vincent Pellegrini @ 12:44
Le journaliste de «La Liberté» Patrice Favre a consacré un livre itinéraire et d’entretiens au cardinal Georges Cottier, qui fut le théologien particulier de Jean Paul II. Cet ouvrage publié aux éditions CLD et disponible en librairie est fort intéressant. Dans le chapitre XIV intitulé «Le Coran et l’Orient», l’islam est abordé de manière à la fois nuancée et directe, le Père Cottier ayant souvent visité des pays musulmans. En voici quelques extraits:
« Sur l’islam, le cardinal Cottier n’a pas élaboré des réflexions aussi poussées que sur le judaïsme. Mais il a suivi d’un oeil attentif l’évolution d’une religion qui, selon ses termes, « interpelle normément les chrétiens ». Le père de Menasce, un de ses premiers maîtres, en parlait comme d’une hérésie juive, une position à laquelle s’était rallié le cardinal Journet. « L’islam serait une sorte de judaïsme sans l’élan messianique. La révélation s’arrête avec Mohammed, il n’y a plus d’histoire du salut au sens où l’entendent juifs et chrétiens», dit Cottier. Des traces chrétiennes sont visibles dans le Coran, «et il est possible que Mohammed ait subi l’influence de chrétiens nestoriens qui niaient la divinité du Christ». De fait, le Jésus du Coran est un prophète, pas le Fils de Dieu. Le texte fondateur de l’islam contient d’ailleurs des confusions capitales à propos de la Trinité: elle serait composée de Allah, Jésus et Marie (sourate 5, 116), et elle serait une triade de dieux (sourate 4, 171et 5, 73).
En débattre avec un musulman n’est pas aisé, car il n’acceptera pas de remarques critiques sur le Coran. « C’est un des nombreux problèmes que la modernité pose à l’islam, poursuit le cardinal Cottier. J’en vois au moins trois. D’abord, le fait que l’islam ne distingue pas entre ce qui appartient au Royaume de Dieu et ce qui relève de César. Dans les mosquées, vous entendez des discours politiques et cela ne choque personne. L’autre problème majeur est la condition de la femme. Une photographe qui a beaucoup voyagé dans ces pays me racontait à quel point la femme y est méprisée et enfermée dans un rapport de domination. L’absence de vrai dialogue au sein du couple a une influence sur la difficulté de l’islam à dialoguer en général. Cela n’empêche pas que les musulmans aient une attitude religieuse authentique, avec un sens élevé de la transcendance. Mais ce n’est pas un Dieu qui se communique. Il reste inaccessible, et l’homme est comme écrasé devant lui. »
Troisième difficulté, déjà signalée, la lecture critique du Coran : «On sait que les sourates ne datent pas toutes de la même époque ; certaines sont postérieures à Mohammed, lequel n’a d’ailleurs rien écrit. Les textes ont été rassemblés après sa mort. La méthode historico-critique pose de sérieux problèmes aux musulmans. Le jour où ils l’appliqueront, et certains le font déjà dans les milieux de l’émigration, l’islam changera. Mais ces travaux ne sont pas encore acceptés dans le monde arabe. » Les catholiques aussi ont beaucoup hésité avant d’accepter certaines remises en question du texte biblique. Les résistances musulmanes ne sont-elles pas compréhensibles ? « C’est vrai, l’Église a mis du temps avant d’accepter les travaux des exégètes. La méthode historico-critique était liée à des théories théologiques et philosophiques qui ne se limitaient pas au texte mais qui mettaient la foi en cause. Les musulmans pourraient d’ailleurs profiter des expériences faites avec la Bible, mais ils n’en veulent pas : on ne touche pas au Coran. Au point que même les traductions font problème à certains, qui considèrent l’arabe comme la seule langue divine. »
Le rapprochement souhaité entre juifs, chrétiens et musulmans pourrait se fonder sur le fait que ces trois religions ont le même Dieu : au-delà des différences culturelles et religieuses, les noms d’Allah, Yahvé et le Dieu chrétien ne recouvrent-ils pas une même réalité ? « En êtes-vous sûr ? se demande le père Cottier. Pour un musulman, Dieu échappe totalement à la connaissance. Pour le chrétien, Dieu est un mystère, ce qui n’est pas identique. Quelque chose de Lui peut être connu dans la foi :l’incarnation et la trinité de Dieu, par exemple, alors que ces deux réalités sont niées par l’islam. Pour eux, dire que Dieu est Père et qu’on est créé à son image est tout à fait inacceptable. Pour les Juifs aussi, Dieu est Père et l’homme est créé à son image. Et nous partageons le même Décalogue, les Dix commandements. Avec l’islam, les différences sont beaucoup plus radicales. »
Les points d’accrochage sont nombreux, on le voit. Un des plus importants étant la liberté religieuse. Que certains musulmans interdisent encore la conversion à une autre religion, sous peine de mort, est gravissime, estime le cardinal. « Qu’un Genevois comme Hani Ramadan, qui a passé son enfance en Suisse, puisse justifier la lapidation en cas d’adultère est réellement préoccupant. L’appartenance au groupe est très forte encore dans le monde musulman, et le sens de la personne insuffisamment développé. Il est vrai que c’est le grand apport du christianisme à l’humanité, et il a été préparé par le judaïsme. »
Il en va de même pour le dialogue. Depuis Paul VI et son encyclique Ecclesiam suam (1963), l’Église catholique en fait la boussole de son rapport avec le monde. « La foi est dialogue », dit même le cardinal Cottier, parce qu’elle est à l’image d’un Dieu Trinité 215. Mais les représentants des autres religions n’ont pas tous le même point de vue, ni la même sagesse. « Un petit frère de Jésus qui a vécu longtemps en Iran sous Khomeiny me racontait ses difficultés et combien il avait dû constater que le dialogue est surtout une valeur chrétienne », se souvient le père Cottier.
Son regard sur l’islam semble peu positif ? « Je ne porte pas de jugement sur la foi des personnes, je l’ai déjà dit. Et ce qui se passe en Europe est important. (…) Il y a des conversions dans les deux sens, même si les musulmans convertis sont discrets par peur des représailles. Des banlieues de l’islam sortent peu à peu des intellectuels qui interrogent leur religion de l’intérieur. Je sens comme une fermentation autour du problème majeur de l’islam, son rapport à la violence. La grande masse des musulmans n’est pas fondamentaliste. Mais pourquoi est-elle si vulnérable face à certains discours ? C’est une religion née avec la guerre, avec les conquêtes militaires. Elle a des comptes à régler avec la violence, c’est certain. »
Décisive fut donc l’intuition du pape Jean-Paul II, lorsqu’il invita toutes les religions à prier pour la paix. C’était en 1986 à Assise : « Le pape nous dit que le sentiment religieux naturel de l’homme, vécu de manière authentique, ne conduit pas à la guerre mais à la paix. Cette conviction de Jean-Paul II est essentielle aujourd’hui. Et elle ne va pas de soi, car la guerre occupe une place de choix dans l’histoire de toutes les religions, aussi dans le christianisme. Mais nous avons fait un grand pas au siècle dernier, lorsque nous avons pris davantage au sérieux le Sermon de Jésus sur la
Montagne: ‘Bienheureux les doux et les artisans de paix’. Les dernières guerres mondiales, avec leurs atrocités, nous ont ouvert les yeux. Les musulmans y arriveront aussi, mais l’islam n’est pas à l’abri de graves crises internes. À l’image des poussées de fondamentalisme actuelles.» Face à ces menaces, la peur n’est pas bonne conseillère, dit-il encore. « Il faut affronter les problèmes. Ne pas se laisser gagner par les réflexes de crispation identitaire et de refus de l’autre. Nous assistons à de nouvelles formes de nationalisme ou d’égoïsme national qui sont dangereuses. Les gouvernements ont le droit et le devoir de réglementer l’immigration: comment laisser venir en masse des populations si on n’a pas de travail pour elles ? Mais nous avons aussi un devoir d’hospitalité, et nous ne devons jamais accepter que les plus pauvres se fassent exploiter. »
Montagne: ‘Bienheureux les doux et les artisans de paix’. Les dernières guerres mondiales, avec leurs atrocités, nous ont ouvert les yeux. Les musulmans y arriveront aussi, mais l’islam n’est pas à l’abri de graves crises internes. À l’image des poussées de fondamentalisme actuelles.» Face à ces menaces, la peur n’est pas bonne conseillère, dit-il encore. « Il faut affronter les problèmes. Ne pas se laisser gagner par les réflexes de crispation identitaire et de refus de l’autre. Nous assistons à de nouvelles formes de nationalisme ou d’égoïsme national qui sont dangereuses. Les gouvernements ont le droit et le devoir de réglementer l’immigration: comment laisser venir en masse des populations si on n’a pas de travail pour elles ? Mais nous avons aussi un devoir d’hospitalité, et nous ne devons jamais accepter que les plus pauvres se fassent exploiter. »
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