mercredi 19 janvier 2011

pourquoi sunnites et chiites s'affrontent

Origines d’une fracture
GÉOPOLITIQUE RELIGIEUSE (2) Quand et pourquoi l’islam s’est divisé entre sunnisme et chiisme.







Par Grégoire Sommer
historien des religions



GRÉGOIRE SOMMER
SPÉCIALISTE DES RELIGIONS
L’intervention américaine de
2004 en Irak a eu pour conséquence
l’élimination du pouvoir
sunnite de Saddam Hussein
et son remplacement par
les chiites. Cela a entraîné une
modification complète des
rapports de forces au Moyen-
Orient, avec pour conséquence
le déplacement de la
frontière traditionnelle qui séparait
les chiites et les sunnites
et qui avait été négociée en
1639 par le traité de Qasr e-Shirin
(voir article du 24 janvier).
Pour mesurer à moyen
terme les conséquences de
cette transformation géopolitique,
il convient de s’interroger
sur les raisons de cette opposition
entre sunnites et chiites.
Un premier constat est que
cette opposition est historique
et remonte à l’origine de l’islam.
Problème de succession
Mahomet est un riche
commerçant installé à La Mecque.
En 620, il reçoit une première
prophétie qui lui demande
de proclamer l’unicité
de Dieu et d’annoncer l’imminence
de la résurrection des
morts, la venue du jour du Jugement,
etc. Une partie importante
des habitants de La Mecque
rejette ses prophéties. Et
Mahomet est dès lors obligé,
avec un certain nombre de disciples,
de quitter La Mecque
pour se rendre dans la ville de
Yathrib, actuellement Médine.
Au lieu de suivre un clan, les
disciples de Mahomet suivent
un homme pour des raisons de
foi. C’est tout à fait nouveau
dans la tradition arabe et cette
démarche est fondatrice de la
notion d’umma (communauté
des croyants).
Mahomet est reconnu à
Médine comme médiateur entre
les deux clans qui s’y affrontent
et devient ainsi très rapidement
le chef de la cité. Après
la conquête de La Mecque
(630) et au moment où Mahomet
sent venir sa mort, en 632,
deux solutions se présentent
aux musulmans pour la succession
du prophète. Soit ils
obéissent à une logique clanique
traditionnelle et se fondent
sur les propos même de
Mahomet pour désigner
comme son successeur son
gendre Ali, soit ils élisent le
successeur du prophète parmi
ses compagnons. La deuxième
solution sera privilégiée à
l’époque par la plupart des
musulmans. C’est Abu Bakr,
compagnon des premières
heures de Mahomet, qui lui
succédera et portera le titre de
«successeur de l’envoyé de
Dieu» de 632 à 634. Ce statut
n’a pour les premiers musulmans
aucune dimension
transcendantale.
L’assassinat d’Ali
Après les deux successeurs
d’Abu Bakr: Omar et Othman,
Ali en personne (le gendre du
prophète) est choisi comme
calife (successeur). En 661 cependant,
il est assassiné et
remplacé par Moawiya, fondateur
de la dynastie des
Omeyyades, lequel se donne
comme objectif de déplacer la
capitale (Médine) à Damas. On
invoque deux raisons pour ce
choix politique. D’une part
parce que l’islam est sorti des
frontières de l’Arabie en direction
de la Syrie byzantine et de
l’empire perse Sassanide (il
était donc urgent de trouver
une capitale plus centrée).
D’autre part, Médine était le
centre où se regroupaient les
chiites, soit le clan d’Ali, le calife
assassiné au profit de Moawiya.
Division
et consolidation
A la mort de Moawiya, en
680, le fils d’Ali, Hussein, refuse
de faire allégeance au nouveau
calife omeyyade. Répondant à
l’invitation des habitants de
Koufa, au sud de l’Irak actuel, il
organise la résistance. Damas
envoie des troupes et met en
pièces à Kerbala, non loin de
Koufa, la petite armée commandée
par Hussein. Ce dernier
est décapité. Et cet événement
fondateur du chiisme est
commémoré chaque année
lors de la fête de la Achoura.
Les hommes s’y flagellent collectivement
dans de grands
rassemblements très démonstratifs
pour rappeler le sang
versé ce jour-là et seuls les chiites
pratiquent ce rite.
Bien que battus militairement,
les chiites ont pu demeurer
un groupe homogène
et indépendant au cours des
siècles, en occupant des zones
géographiques non revendiquées
par les sunnites, comme
par exemple les montagnes de
Lattakié (en Syrie), du Liban et
de Turquie (alévis), mais aussi
les marécages du sud de l’Irak
ou encore les déserts retirés de
l’Arabie saoudite (une présence
chiite y persiste d’ailleurs
encore aujourd’hui dans
des poches). Or c’est précisément
en ces zones d’implantation
chiites que se trouvent les
principales ressources pétrolières.
La géopolitique de l’islam
se superpose à l’époque
contemporaine à une géopolitique
des hydrocarbures.
Imamat contre califat
Renvoyé aux marges de l’islam,
le chiisme a abandonné
durant des siècles toute prétention
politique. Jusqu’à
l’avènement de l’empire safavide
chiite en 1501, en Iran.
Pour se réapproprier du pouvoir,
les chiites ont dû procéder
à une chiitisation de la population
iranienne qui était auparavant
sunnite. Il s’agissait de
s’opposer à l’empire ottoman
et à sa religion officielle qui
était le sunnisme. Chiites et
sunnites partageaient quasiment
la même théologie mais
ne retenaient pas toujours les
mêmes éléments de la tradition
en dehors du texte du Coran
et ne reconnaissaient pas
non plus les mêmes dignitaires.
L’institution sunnite du califat
(souverain temporel et religieux)
remonte à la mort de
Mahomet.
A partir de la dynastie sunnite
des Omeyyades (661), le
califat prend un caractère fortement
héréditaire. L’institution
du califat permet en effet
de garantir la continuité de l’islam
et l’unité de la communauté
des musulmans. L’imamat
chiite (pouvoir des
imams), par contre, obéit à une
logique totalement différente.
Pour les partisans d’Ali, l’autorité
sur la communauté ne
peut en effet être garantie que
par les seuls descendants issus
de la famille de Mahomet. La
doctrine de l’imamat se
construit à partir de la disparition
du 12e imam historique,
en 874 (c’est le Mahdi qui a disparu
mais n’est pas mort et reviendra
donc à la fin des temps
pour rétablir la justice et le véritable
islam).
Dans l’attente du retour du
Mahdi, ou 12e imam, le clergé
chiite imamite (fraction majoritaire
dans le chiisme) s’est
progressivement attribué le
pouvoir temporel sans revendiquer
cependant l’infaillibilité
religieuse comme le
Mahdi. Forgé sur la disparition
du douzième imam, le chiisme
duodécimain considère que
les imams (Ali et ses descendants)
ont participé de la
même illumination divine accordée
au Prophète.
Cette illumination leur permet
d’avoir la connaissance du
sens caché du Coran. L’imamat
chiite, de par ses dimensions
ésotériques mais aussi par sa
dimension héréditaire, est
donc incompatible avec le califat
sunnite. D’où les conflits
qui opposent dans la violence
l’axe sunnite à l’axe chiite.


«Pour les chiites,
l’autorité sur la communauté
ne peut être
garantie que par les
seuls descendants
issus de la famille
de Mahomet»
GRÉGOIRE SOMMER
SPÉCIALISTE DES RELIGIONS
Lors de la fête de l’Achoura, les chiites se flagellent pour commémorer le massacre de l’imam Hussein et de sa famille en 680 par les sunnites. DR
DIMANCHE

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