samedi 15 janvier 2011

L’illusion de la laïcité turque

 Vincent Pellegrini 

Les déclarations récentes de Barack Obama et de Hillary Clinton sur la laïcité turque montrent qu’ils n’ont pas du tout compris que cette laïcité n’avait pas grand chose à voir avec une laïcité à l’occidentale. La laïcité turque est de fait dès son origine un compromis politique et juridique voulu par les constitutionnalistes qui voulaient  placer le politique au-dessus du religieux sans pour autant éliminer l’islam – religion d’Etat – de la scène politique. Cette sous-forme de césaropapisme perdure dans la Turquie d’aujourd’hui. Bien sûr la laïcité turque a évolué au cours de l’histoire, mais son esprit est resté le même. L’objectif de la laïcité turque vise en effet à établir un contrôle de l’Etat sur un islam national. Pour exercer ce contrôle, l’Etat turc dispose de moyens juridiques et administratifs importants, avec, par exemple, la Direction des affaires religieuses, appelée Diyanet. Elle est placée sous l’autorité du premier ministre qui nomme ou destitue les imams et les muezzins et surveille leur formation dans les écoles de prédicateurs. On mesure bien la distance qui sépare la laïcité turque de la laïcité à l’occidentale: si la laïcité turque consiste à exercer un contrôle décisif sur l’islam, la laïcité occidentale en revanche, y compris dans un canton très catholique comme le Valais, a pour vocation de séparer l’Etat des Eglises. On a donc avec la laïcité turque quelque chose de bien différent de la laïcité à l’occidentale. Si la laïcité turque se donne pour but de contrôler l’islam, elle entend en réalité promouvoir l’islam de la majorité, c’est-à-dire le sunnisme. Pourtant sur les 72 millions d’habitants musulmans de Turquie, 18 millions sont chiites. Il s’agit des Alévis, descendants des tribus turkmmènes, qui ont été sédentarisés par la force par les Ottomans. Actuellement, en mettant sous tutelle l’islam, le Diyanet (organisme chargé de gérer les affaires religieuses en Turquie) entend bien privilégier le sunnisme au détriment des alévis chiites qu’il considère encore comme représentant une rupture franche entre les Empires ottoman et safavide autour du clivage sunnite-chiite.

Lire la page du spécialiste des religions Grégoire Sommer  sur ce sujet

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