Interview Vincent Pellegrini
Ancien grand reporter au «Figaro Magazine», le journaliste français Jean-Pierre Moreau (notre photo) a réalisé en 1986 avec ce magazine et Sygma TV un film documentaire intitulé: «Dieu et Marx», qui montrait l’action de prêtres au côté de la guérilla dans divers mouvements de libération d’Amérique latine. Durant une année, il avait sillonné avec son équipe TV toute l’Amérique latine pour montrer cet aspect de la théologie de la libération. Il revient aujourd’hui avec un livre – aux Editions Fol’fer – sur la résurgence de ladite théologie de la libération. Nous l’avons rencontré dans sa ville de Troyes et lui avons demandé ce qu’il restait de cette théologie libérationniste qui a été combattue par Jean Paul II et par celui qui était encore à l’époque le cardinal Ratzinger. Un thème d’actualité puisque le papes’apprête à publier une grande encyclique sociale.
Qu’aviez-vous découvert en 1986 lors de la réalisation de votre film?
Que nombre de prêtres – également européens – étaient des agents actifs de la guérilla révolutionnaire. Ils ne faisaient certes pas toujours partie de l’appareil militaire mais collaboraient directement avec la guérilla sur d’autres plans, y compris logistiques.
Durant cinq ans, au «Figaro Magazine», nous avons investigué et recueilli des éléments montrant que l’Action de carême française de l’époque et son bras national, le CCFD (Comité contre la faim et pour le développement) finançait avec l’argent des fidèles des groupes révolutionnaires. J’ai même eu un procès en diffamation pour le livre que j’avais consacré à ce sujet, «l’Eglise et la subversion», mais je l’ai gagné.
Qu’est-ce que la théologie de la libération théorisée par les Leonardo Boff et autres penseurs libérationnistes?
Jusqu’à la 3e Internationale, la dialectique marxiste léniniste ciblait le monde ouvrier. Après la Seconde Guerre mondiale cette opposition de classe s’est doublée de luttes de libération nationale. On opposa alors non plus seulement les ouvriers aux bourgeois, mais les colonisés aux colonisateurs. C’est un discours qui séduisit certains prêtres et un religieux devint par exemple le biographe de Fidel Castro. Il y a eu, comme a dit Benoît XVI, «manipulation idéologique de la religion». Et ce processus a été initialisé en Amérique latine par des religieux venus d’Europe. Ils ont gauchisé une pensée chrétienne pour en faire une idéologie socialiste de conquête du pouvoir. Ils ont gardé la dialectique marxiste en opposant systématiquement les riches aux pauvres, les églises locales à l’Eglise de Rome, les communautés de base à la hiérarchie ecclésiastique et à l’autorité de l’évêque. Bref, la théologie de la libération a créé une hiérarchie parallèle à celle de l’Eglise dans les paroisses grâce notamment aux communautés de base.
Aujourd’hui la théologie de la libération est cependant affaiblie.
Après la chute du mur, l’Union soviétique a effectivement cessé de financer la propagande révolutionnaire dans le monde et les guérillas se sont progressivement éteintes ou tout au moins, ont connu un ralentissement considérable. En 1986, le cardinal Ratzinger avait par ailleurs publié une note condamnant la théologie de la libération dans son essence. La même année, Jean Paul II a stigmatisé cette même théologie de la libération dans une lettre aux évêques brésiliens. C’était l’époque où l’archevêque de Sao Paulo, le cardinal Arns, félicitait Fidel Castro pour l’anniversaire de la révolution cubaine. Bref, l’Eglise a lancé une contre-attaque à travers les conférences épiscopales d’Amérique latine. Evêques et clercs proches de la théologie de la libération ont été mis peu à peu sur la touche. La théologie de la libération en est ressortie considérablement affaiblie et Leonardo Boff a quitté l’Eglise. Bref, le mouvement a échoué à prendre le contrôle des structures ecclésiales, y compris en Europe.
Alors, pourquoi consacrez-vous aujourd’hui un livre à la résurgence de la théologie de la libération?
Car le CCFD français (Comité contre la faim et pour le développement), organisme officiel de l’épiscopat qui a le monopole de la quête de l’Action de carême en France, continue de plus belle dans la ligne de la théologie de la libération, notamment à travers des réunions comme le Forum social mondial ou le Forum mondial de théologie et libération. En enquêtant, j’ai découvert que le CCFD était encore plus puissant, vingt ans après, qu’il travaillait main dans la main avec le syndicat CFDT, et le groupe néo-trotskiste, ATTAC, pour promouvoir l’idéologie de la 4e ou de la 5e Internationale. Son président Guy Aurenche vient de la gauche. Aujourd’hui, la dialectique marxiste s’applique à la mondialisation. Des penseurs, comme le prêtre belge et professeur à Louvain Francois Houtard sont les animateurs de cette nouvelle théologie de la libération.
Mais ne s’agit-il pas tout simplement d’une sensibilité catholique progressiste et sociale?
Non, car le vieux schéma de la lutte des classes est appliqué, à l’écologie et à la mondialisation. La théologie de la libération s’oppose aux multinationales et aux Etats qui détruisent la nature seul bien des pauvres. On est dans une nouvelle démarche politique qui appelle la société civile à prendre le pouvoir contre les pouvoirs en place représentés par les politiciens, l’Eglise hiérarchique, les économistes, etc. La nouvelle théologie de la libération veut changer radicalement la société mais ne véhicule plus de références chrétiennes. Le slogan est double: un autre monde est possible, une autre Eglise est possible. La mission évangélisatrice de l’Eglise est complètement remplacée par un développement utopique qui sauvera les peuples.
Cette nouvelle théologie de la libération n’a pas ses entrées au Vatican…
Oui, elle ne reprend pas vraiment pied dans l’Eglise mais c’est dans la sphère politique qu’elle essaie de reconquérir le terrain perdu, notamment à travers des réunions internationales comme le Forum social mondial. Cette année, à Belem (Brésil), il y avait par exemple énormément d’associations et d’ONG chrétiennes. Il y avait aussi cinq chefs d’Etat latino-américains de gauche et ce Forum social mondial a consacré une sorte de christianisme révolutionnaire sans christianisme.
Certains théologiens libérationnistes ont pourtant cité Jean Paul II disant qu’il y avait une théologie de la libération chrétienne «utile et nécessaire».
Il s’agit d’une falsification. Ce dernier disait que la théologie de la libération, au sens catholique, était nécessaire, et qu’elle passait par la conversion des cœurs et l’évangélisation. Il a bien expliqué dans ses textes que ce n’était pas celle prônée en Amérique latine. Benoît XVI, lui, a expliqué que sans l’Esprit Saint et en dehors d’une optique de foi, l’Eglise n’était plus qu’une sorte d’agence humanitaire.
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