Chrétienne de l’ombre
MAROC Le témoignage d’une chrétienne marocaine convertie dans son coeur au christianisme – mais qui ne peut même pas confier ce secret à ses enfants – jette une autre lumière sur un pays musulman prisé des
touristes occidentaux.
LIBERTÉ RELIGIEUSE
THÉORIQUE
PROPOS RECUEILLIS PAR
VINCENT PELLEGRINI
Nous avons pu la contacter au Maroc – elle habite
Tanger – mais nous tiendrons son nom secret. Elle
s’est convertie secrètement au christianisme, mais
n’a jamais osé le dire, même à ses proches. C’est une
chrétienne marocaine du silence. Nous savons seulement
d’elle qu’elle travaille dans l’humanitaire et
qu’elle a trois enfants.
Elle rêvait d’écrire un roman («Rien de mal») en
partie autobiographique et elle l’a finalement fait
sous un pseudonyme – Maya El-Baz – dans une
maison française d’édition en ligne (www.thebookedition.
com). Un livre qui, au-delà de sa trame romanesque,
traite notamment des réalités quotidiennes
de la société marocaine, des relations intercommunautaires,
de la montée de l’intégrisme,
du sort des femmes et de la difficulté à faire évoluer
les normes islamiques vers la liberté religieuse. L’interview
que «Maya El-Baz» nous a donnée sur son
parcours personnel et sur la réalité de son vécu
quotidien au Maroc est saisissante de vérité humaine
et spirituelle.
Dans quelles circonstances et pourquoi vous êtesvous
convertie au christianisme?
Dès ma plus tendre enfance, j'étais attirée par la
lecture. Vers l'âge de 10 ans, j'ai découvert chez mon
oncle une très belle Bible. Je l'ai lue et j'ai été fascinée
par ses messages d'amour et de tolérance. J'ai
grandi accompagnée d'une curiosité insatiable. Je
voulais comprendre plein de choses. Comprendre
pourquoi dans l'islam Dieu était si intransigeant, si
dur, pourquoi devait-il nous punir? De là, naquit la
recherche de ce Dieu au fond de moi-même. J'ai enchaîné
une période musulmane, suivie d'une période
laïque, pour finir franchement athée. Mais un
jour, mes pas m'ont menée à une église. En y entrant,
j'ai ressenti une très vive émotion, j'avais le
sentiment d'être arrivée à bon port, là où je devais
être... J'étais chez moi, à ma juste place, cette sensation
ne m'a jamais quittée depuis. Chaque fois que
je pénètre dans une église, ou que je fais mes prières,
j'ai l'impression de ne faire qu'un avec Dieu et
Jésus. Depuis, je suis chrétienne.
Votre roman s'inspire-t-il de votre histoire? Pourquoi
avoir écrit ce roman? Et pourquoi n'avoir pas publié
plutôt un témoignage?
Ce roman ne contient que 25% de ma vie. Le solde
n'est qu'imagination sur un fond de réalités sociales
et religieuses très dures. En le rédigeant, je voulais
en fait lancer un «cri», tirer un signal d'alarme
stigmatisant les risques qu'encourent les pays arabes
et même occidentaux. Un témoignage aurait
été trop subjectif, je voulais concerner le lecteur,
proposer cette histoire comme la sienne et non seulement
la mienne, je voulais exprimer mes soucis,
mes craintes et mes colères aussi.
Vous désirez rester anonyme et ne pas faire connaître
au Maroc votre conversion. Vous me dites que vous
craignez pour vos enfants. Une femme marocaine
considérée comme «apostate» par l'islam pourraitelle
être séparée de ses enfants même au Maroc
pourtant réputé assez modéré par les Occidentaux?
Je dirais juste que cela serait une raison suffisante
de me reprendre la garde de nos enfants, la loi et la
religion statueraient inévitablement au bénéfice de
leur père, mon ex-mari, particulièrement dans le
climat actuel de «chasse aux sorcières».
Vos enfants se sont-ils aussi convertis? Comment
vivent-ils cette situation?
Je dois leur laisser la liberté de choisir la religion
qu'ils embrasseront. Je ne veux pas leur imposer
quoi que ce soit en ce domaine. Toute pratique religieuse
doit, à mon avis, résulter d'un libre engagement,
pas d'une obligation. Je leur dispense une
éducation laïque basée, bien sûr, sur des valeurs
chrétiennes. Tel le pardon, le partage, l'amour d'autrui...
Mais ils ne savent pas encore que je suis chrétienne.
Ce sont des enfants qui risquent d'en parler
autour d'eux. Cela peut être dangereux. Je préfère
attendre qu'ils grandissent pour leur confier mon
secret afin de ne pas leur imposer une responsabilité,
un fardeau trop lourd à porter.
Quelle est la situation des chrétiens marocains, jouissent-
ils de la liberté de culte, peuvent-ils construire
des églises?
Je dirais qu'ils commencent à revendiquer un peu
plus leurs droits, mais ne jouissent pas vraiment de
la liberté de culte. Les prières se font discrètement,
en privé, dans des appartements. Au-delà de vingt
«paroissiens» le groupe se scinde en deux pour
créer une autre église. Le baptême reste interdit, le
prosélytisme également... Aucune église n'a plus
été construite dans un pays musulman depuis de
longues années, a contrario de la liberté de culte accordée
aux musulmans dans les pays occidentaux
et assortie de construction de mosquées en tout
liberté. Pourquoi une telle contradiction? J'invite
les lecteurs à méditer sur la question.
Votre parcours est aussi un peu celui d'une femme
laïque. Mais peut-on séparer l’Etat de la religion dans
un pays musulman comme le Maroc?
On doit si on veut que le pays progresse...
L'islam influence-t-il parfois négativement la situation
de la femme au Maroc?
Il ne l'influence pas, il la régit.
Pensez-vous que l'islam marocain puisse évoluer pour
se rapprocher encore des valeurs sous-tendant les
modèles démocratiques occidentaux?
Je crois qu'on peut le faire, c'est une question de
bonne volonté. Personnellement, cela fait plus de
seize ans maintenant que je m'y emploie.
Auteur: Maya El-Baz. Titre: «Rien de mal»
Editions: www.thebookedition.com
271 pages.
Prix: Papier, 20 euros; version pdf, 10 euros.
Commander en ligne à:
http://www.thebookedition.com/rien-de-mal--p-35949.html
Le roi serre la vis
Selon la Constitution marocaine
«l’islam est la religion
de l’Etat qui garantit
à tous le libre exercice du
culte». Mais la réalité sur
le terrain est bien différente.
Les musulmans qui
se convertissent subissent
une pression terrible,
y compris des autorités
alors que la loi marocaine
ne punit pourtant pas ce
que l’islam définit comme
une «apostasie».
En «Commandeur des
croyants», l’actuel roi Mohamed
VI, sous prétexte
de couper l’herbe sous les
pieds des islamistes, a par
ailleurs donné un tour de
vis dans les affaires religieuses
et ce sont les
chrétiens qui en font les
frais notamment à travers
la nouvelle politique de tolérance
zéro du «prosélytisme
». Il faut savoir en effet
que l’article 220 du
code pénal marocain
condamne «quiconque
emploie des moyens de
séduction dans le but
d’ébranler la foi des musulmans
».
Le Ministère des affaires
islamiques a désormais
une nouvelle tache: garantir
«la sécurité spirituelle»
des Marocains. VP
«Un jour, en entrant dans
une église, j'ai ressenti une
très vive émotion, j'avais
le sentiment d'être arrivée
à bon port, là où je devais
être...»
MAYA EL-BAZ,
chrétienne marocaine convertie secrètement
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