Je publie sur ce blog l'interview de Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité saint-PIe X (Ecône) sur les entretiens avec les experts désignés par le pape pour traiter de Vatican II. Pour l'instant, il n'y a pas opposition entre les deux camps mais deux cheminements parallèles qui ne se rejoignent pas. Le pape pourrait dénouer la situation par une seule déclaration définissant la notion de liberté religieuse par exemple. On a l'impression qu'on ne peut compter que sur le Saint-Esprit. Il faut aussi que certains arrêtent de brandir Vatican II (concile pastoral et non dogmatique) comme s'il s'agissait du Coran incréé.. A la fin, tout le monde pourrait signer le Credo et déposer les armes. Ce serait l'action la plus sage et suffisante puisque Vatican II n'est pas dogmatique mais pastoral et que la société a tellement évolué qu'il est aujourd'hui dépassé. Il ne faudrait pas qu'Ecône se crispe sur Vatican II qui est dépassé par notre époque et a perdu son actualité. Pour Benoît XVI par exemple, l'objectif numéro un est de combattre le relativisme dans l'Eglise et dans la société. Cet aspect est absent de Vatican II, etc,
Vincent Pellegrini
Entretien exclusif de Mgr Bernard Fellay, supérieur général du mouvement d'Ecône, donné au District des USA Séminaire Saint-Thomas-d'Aquin (USA) - 2 février 2011 (d'après LA PORTE LATINE du 18.2.11)
I. LES ENTRETIENS DOCTRINAUX
1. Monseigneur vous avez choisi d'entreprendre des discussions doctrinales avec Rome. Pourriez-vous nous en rappeler le but?
Il faut distinguer le but romain du nôtre. Rome a indiqué qu'il existait des problèmes doctrinaux avec la Fraternité et qu'il fallait éclaircir ces problèmes avant une reconnaissance canonique, - problèmes qui seraient manifestement de notre fait, s'agissant de l'acceptation du Concile. Mais pour nous il s'agit d’autre chose, nous souhaitons dire à Rome ce que l'Église a toujours enseigné et, par là-même, manifester les contradictions qui existent entre cet enseignement pluriséculaire et ce qui se fait dans l’Eglise depuis le Concile. De notre côté, c'est le seul but que nous poursuivons.
2. Quelle est la nature de ces entretiens : négociations, discussions ou exposition de la doctrine ?
On ne peut pas parler de négociations. Il ne s'agit pas du tout de cela. Il y a d'une part une exposition de la doctrine, et d'autre part une discussion car nous avons effectivement un interlocuteur romain avec lequel nous discutons sur des textes et sur la manière de les comprendre. Mais on ne peut pas parler de négociations, ni de recherche d'un compromis, car c’est une question de Foi.
3. Pouvez-vous rappeler la méthode de travail utilisée ? Quels sont les thèmes qui ont déjà été abordés ?
La méthode de travail est la méthode écrite : des textes sont rédigés sur lesquels s’appuiera l’entretien théologique ultérieur. Plusieurs thèmes ont déjà été abordés. Mais je laisse pour l’instant cette question en suspens. Je peux vous dire simplement que nous arrivons au bout, car nous avons fait le tour des grandes questions que pose le Concile.
4. Pouvez-vous présenter les interlocuteurs romains ?
Ce sont des experts, c'est-à-dire des professeurs de théologie qui sont également consulteurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On peut dire des « professionnels » de la théologie. Il y a un Suisse, le Recteur de l'Angelicum, le père Morerod ; il y a un Jésuite, un peu plus âgé, le père Becker ; un membre de l'Opus Dei en la personne de son Vicaire général, Mgr Ocariz Braña ; puis Mgr Ladaria Ferrer, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et enfin le modérateur, Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei.
5. . Y a-t-il une évolution dans la pensée de nos interlocuteurs depuis qu’ils ont lu les exposés des théologiens de la Fraternité ?
Je ne pense pas qu’on puisse le dire.
6.Mgr de Galarreta, lors du sermon des ordinations à La Reja en décembre 2009, disait que Rome avait accepté que le Magistère antérieur à Vatican II soit pris comme « unique critère commun et possible » dans ces entretiens. Y a-t-il un espoir que nos interlocuteurs révisent Vatican II ou est-ce impossible pour eux ? Vatican II est-il vraiment une pierre d’achoppement ?
Je pense qu'il faut poser la question autrement. Par les distinctions faites par le pape Benoît XVI dans son discours de décembre 2005, on voit très bien qu'une certaine interprétation du Concile n’est plus permise et donc, sans parler directement d'une révision du Concile, il y a malgré tout une certaine volonté de réviser la manière de présenter le Concile. La distinction peut sembler un peu subtile, mais c'est bien sur cette distinction que s’appuient ceux qui ne veulent pas toucher au Concile et qui reconnaissent néanmoins que, à cause d'un certain nombre d'ambiguïtés, il y a eu une ouverture en direction de chemins interdits, dont il faut rappeler qu’ils sont interdits. - Vatican II est-il une pierre d’achoppement ? Pour nous, sans aucun doute, oui !
7.Pourquoi est-il si difficile pour eux d’admettre une contradiction entre Vatican II et le Magistère antérieur ?
La réponse est assez simple. A partir du moment où l'on reconnaît le principe selon lequel l'Église ne peut pas changer, si on veut faire admettre Vatican II, on est obligé de dire que Vatican II n'a rien changé non plus. C'est pour cela qu'ils n'acceptent pas de reconnaître des contradictions entre Vatican II et le Magistère antérieur. Ils sont cependant gênés pour expliquer la nature du changement qui est bel et bien avéré.
8. Au-delà du témoignage de la Foi, est-il important et avantageux pour la Fraternité de se rendre à Rome ? Est-ce dangereux ? Pensez-vous que cela puisse durer longtemps ?
Il très important que la Fraternité porte ce témoignage, c'est même la raison de ces entretiens doctrinaux. Il s’agit vraiment de faire entendre à Rome la foi catholique et essayer - pourquoi pas ? - de la faire entendre mieux encore dans toute l'Église.
Un danger existe, c'est le danger d’entretenir des illusions. On voit que certains fidèles ont pu se bercer d'illusions. Mais les derniers événements se sont chargés de les dissiper. Je pense à l'annonce de la béatification de Jean-Paul II ou celle d’unnouvel Assise dans la ligne des réunions interreligieuses de 1986 et de 2002.
9. Le Pape suit-il de près ces entretiens ? Les a-t-il déjà commentés ?
Je pense que oui, mais sans avoir de précisions. - A-t-il commenté ces entretiens ? Il a dit lors de la réunion de ses collaborateurs, cet été, à Castel Gandolfo, qu'il en était satisfait. C'est tout.
10. Peut-on dire que le Saint-Père qui, depuis plus de 25 ans, a eu à traiter avec la Fraternité, se montre aujourd’hui plutôt plus favorable à son égard que dans le passé ?
Je n’en suis pas sûr. Oui et non. Je pense qu'en tant que pape, il a la charge de toute l'Église, le souci de son unité, la crainte de voir se déclarer un schisme. C'est lui-même qui a dit que c'étaient là les motifs qui le poussaient à agir. Il est maintenant le chef visible de l’Eglise, c’est ce qui peut expliquer pourquoi il agit ainsi. Cela signifie-t-il qu’il manifeste plus de compréhension vis-à-vis de la Fraternité ? Je crois qu'il a une certaine sympathie pour nous, mais avec des limites.
11. En résumé, que diriez-vous de ces entretiens, aujourd’hui ?
S'il fallait les refaire, on les referait. C'est très important. C'est capital. Si on espère corriger tout un mouvement de pensée, on ne peut pas se passer de ces entretiens.
12. Depuis quelque temps, des voix ecclésiastiques, comme celles de Monsignor Gherardini ou de Mgr Schneider, se font entendre qui émettent - à Rome même - de véritables critiques sur les textes de Vatican II et non plus seulement sur leur interprétation. Peut-on espérer que ce mouvement s’amplifie et pénètre à l’intérieur du Vatican ?
Je ne dis pas qu’on peut l’espérer, mais qu’il faut l’espérer. Il faut vraiment espérer que ces débuts de critiques – appelons-les : objectives, sereines – se développent. Jusqu'ici on a toujours considéré Vatican II comme un tabou, ce qui rend presque impossible la guérison de cette maladie qu’est la crise dans l'Église. Il faut pouvoir parler des problèmes et aller au fond des choses, sinon on n'arrivera jamais à appliquer les bons remèdes.
13. La Fraternité peut-elle jouer un rôle important dans cette prise de conscience ? Comment ? Quel est le rôle des fidèles dans cet enjeu ?
Du côté de la Fraternité, oui, on peut jouer un rôle, précisément en présentant ce que l'Église a toujours enseigné et en posant des objections sur les nouveautés conciliaires. Le rôle des fidèles consiste à donner une preuve par l'action, car ils sont la preuve que la Tradition est vivable aujourd'hui. Ce que l'Église a toujours demandé, la discipline traditionnelle est non seulement actuelle, mais réellement vivable aujourd’hui encore.
II. L’EFFET MOTU PROPRIO
14. Monseigneur, pensez-vous que le Motu Proprio, malgré ses déficiences, est un pas en faveur de la restauration de la Tradition ?
C'est un pas capital. C'est un pas qu’on peut dire essentiel, même si jusqu'ici il n'a pratiquement pas eu d'effet, ou très peu, parce qu'il y a une opposition massive des évêques. Au niveau du droit, le fait d'avoir reconnu que l'ancienne loi, celle de la messe traditionnelle, n'avait jamais été abrogée, est un pas capital pour redonner sa place à la Tradition.
15. Concrètement, avez-vous vu à travers le monde d’importants changements de la part des évêques sur la messe traditionnelle depuis le Motu Proprio ?
Non. Ici ou là, quelques-uns obéissent au Pape, mais ils sont rares.
16. Qu’en est-il des prêtres ?
Oui, je vois un grand intérêt de leur part, mais beaucoup d’entre eux sont persécutés. Il faut un courage extraordinaire pour oser simplement appliquer le Motu Proprio tel qu'il a été énoncé. Oui, il y a des prêtres, de plus en plus, surtout dans les jeunes générations, qui s’intéressent à la messe traditionnelle. C'est très consolant !
17. Y a-t-il des communautés qui ont décidé d’adopter l’ancienne liturgie ?
Il y en a peut-être plusieurs, mais il y en a une que l'on connaît, en Italie, celle des Franciscains de l'Immaculée, qui a décidé de revenir à l'ancienne liturgie. Pour la branche féminine, c'est déjà fait. Pour les prêtres qui sont impliqués dans la vie des diocèses, ce n’est pas toujours évident.
18. Que conseillez-vous aux fidèles qui ont, depuis et grâce au Motu Proprio, une messe traditionnelle plus près de chez eux que dans une chapelle de la Fraternité Saint-Pie X ?
Ce que je conseille, c'est d'abord de demander conseil aux prêtres de la Fraternité, de ne pas aller à l’aveuglette à n’importe quelle messe traditionnelle célébrée près de chez soi. La messe est un trésor, mais il y a aussi une manière de la dire et tout ce qui l'accompagne : le sermon, le catéchisme, la façon de donner les sacrements… Toute messe traditionnelle n'est pas nécessairement accompagnée des conditions requises pour qu’elle porte tous ses fruits et qu'elle protège l'âme des dangers de la crise actuelle. Donc, demandez d’abord conseil aux prêtres de la Fraternité.
19. La liturgie n’est pas le fond de la crise dans l'Église. Pensez-vous que le retour de la Liturgie est toujours le début d’un retour à l’intégrité de la Foi ?
La Messe traditionnelle a une puissance de grâce absolument extraordinaire. On le voit dans l'action apostolique, on le voit surtout chez les prêtres qui y reviennent, elle est vraiment l'antidote à la crise. Elle est réellement très puissante, à tous les niveaux, celui de la grâce, celui de la foi… Je pense que si on laissait une véritable liberté à l'ancienne messe, l'Église pourrait sortir assez vite de cette crise, mais cela prendrait tout de même plusieurs années !
20. Depuis longtemps le Pape parle de « la réforme de la réforme ». Pensez-vous qu’il souhaite tenter de concilier la liturgie ancienne avec la doctrine de Vatican II, dans une réforme qui serait une voie moyenne ?
Écoutez, pour l'instant, on n'en sait rien ! On sait qu'il veut cette réforme, mais jusqu'où ira-t-elle ? Est-ce qu'à la fin tout sera fondu ensemble, « forme ordinaire » et « forme extraordinaire » ? Ce n’est pas ce qu’il y a dans le Motu Proprio qui demande que l’on distingue bien les deux « formes » et qu’on ne les mélange pas : ce qui est très sage. Il faut attendre et voir ; pour l'instant restons-en à ce que disent les autorités romaines.
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