jeudi 10 février 2011

La face cachée de Soeur Emmanuelle

TÉMOIGNAGE  sur Soeur  Emmanuelle du Caire 
Directeur spirituel de Soeur Emmanuelle du
Caire qui est décédée en octobre 2010, le
Père Nicolas Buttet raconte l’émouvant cheminement qu’il a fait en compagnie decette petite mère des
pauvres.

Le téléphone sonne: «Allo? C’est Soeur Emmanuelle…
Nicolas, j’ai lu ton livre sur l’Eucharistie,
je veux faire une retraite de huit
jours en le méditant, voudrais-tu m’accompagner?
Mais attention: c’est sérieux! Je veux
deux entretiens par jour! Le reste du temps,
tu me laisses adorer et tu me donnes de
temps en temps quelque chose à manger...
Ah! et puis, à mon âge, j’ai besoin d’un lit
tout de même!»
Difficile de résister à Soeur Emmanuelle!
J’ai donc eu la grâce de l’accompagner
dans cette première retraite personnelle;
d’autres retraites ont suivi. Après
mon ordination sacerdotale, elle me dit: «Je
te demande de venir me confesser tous les
mois. Attention, c’est sérieux! Je suis une
pauvre pécheresse et je peux partir n’importe
quand… alors il faut que je me
convertisse avant!»
Cette confession-entretien durait parfois
plusieurs heures. Mais il est si dérisoire
de parler de temps, lorsque le temps est tellement
saisi par l’amour qu’il a déjà un
goût d’éternité… et ce goût si doux de la
communion des coeurs, qui ne passe pas.

«C’est sérieux!»

«C’est sérieux!» C’est ainsi que j’ai
connu Soeur Emmanuelle. Dans la gravité
de la vie spirituelle; dans le sérieux du chemin
de sainteté qu’elle voulait emprunter.
Résolument; bravement.
«Soeur Emmanuelle par-ci, Soeur Emmanuelle
par-là!» me disait-elle en faisant
la moue et en commentant les louanges à
son égard! «Mais tout cela, ce n’est rien!
Qu’est-ce que j’ai fait? Rien! Qu’est-ce que Jésus
a fait? Tout!» Voilà le chemin étroit, celui
de l’Evangile vécu dans la radicalité
d’une vie intérieure tournée vers le Christ,
et le sérieux d’une vie extérieure livrée au
service des plus pauvres. Un chemin étroit,
dit le Christ. «Oui», renchérit S. Benoît, «un
chemin étroit, mais à la fin… le coeur est
large!» C’est vrai!

«C’est tellement beau
le chapelet»

Après les confessions, Soeur Emmanuelle
me demandait d’écrire quelques paroles
afin de pouvoir les relire: «J’oublie un
peu, tu vois!» Il fallait écrire au feutre rouge
et lisiblement… j’avais d’ailleurs droit à un
contrôle régulier de la calligraphie au cours
des deux ou trois pages d’écriture. A la rencontre
suivante, je retrouvais ces pages
rougies, posées sur sa table de nuit… Oui:
«c’était sérieux!» Je n’oublie pas non plus ce
regard lumineux, pétillant de la joie d’être
«miséricordiée», après l’absolution qu’elle
recevait la tête baissée et les mains jointes.
Et j’entends encore ces paroles prononcées
avec la voix d’une complicité malicieuse, le
doigt dressé vers le ciel: «Ah et puis tu vois!
il y a Marie! Ah! Marie… (silence!) Tu vois,
c’est elle qui me mènera au ciel. J’ai jamais
lâché Marie, elle ne me lâchera pas, c’est certain!
J’ai prié le chapelet tous les jours et
maintenant le rosaire. C’est tellement beau
le chapelet!» Là j’avais compris que le Bon
Dieu pouvait toujours essayer de s’aligner
avec Marie! Il ne pourrait que craquer!

Secrétaire de la Miséricorde

Un jour, rentrant dans sa chambre, je la
croyais assoupie. Je la salue; elle lève aussitôt
la tête et me dit: «J’étais en train de parler
à Jésus, ici dans le tabernacle, et je lui disais:
Je ne savais pas que Tu m’aimais tant!»
Cette phrase l’a habitée tout au long des
deux dernières années de sa vie. Du fond de
ses entrailles remuées par l’amour elle répétait,
aussi stupéfiée que convaincue: «Je
ne savais pas que Tu m’aimais tant!»
Lors d’une retraite, je lui suggérais la
lecture du petit journal de sainte Faustine,
cette religieuse que Jésus appelait «la secrétaire
de ma Miséricorde». J’arrive pour l’entretien
du matin et elle me dit, tout enthousiaste:
«Ecoute, Nicolas, écoute ce que Jésus
dit à sainte Faustine: Plus ton péché est
grand, plus tu as droit à ma Miséricorde. Tu
te rends compte: ON A DROIT À SA MISÉRICORDE!,
pas seulement la miséricorde…
mais un droit à la miséricorde, un droit…
pour les pécheurs!» Elle écrivit cette phrase
sur la bouteille d’eau de Lourdes qui reposait
sur sa table de travail.

«Il est là!»

Soeur Emmanuelle aimait à rappeler
cette grâce de pouvoir communier presque
tous les jours depuis l’âge de 12 ans. Cette
communion quotidienne était sa force et
sa consolation. Plusieurs fois, dans les bidonvilles
du Caire, elle avait risqué sa vie au
petit matin obscur, pour aller à la messe, à
une heure de marche de sa cabane. Un jour
elle me dit: «Je ne peux plus marcher seule!»
Cette remarque m’étonna car elle n’avait
guère l’habitude de se «prendre la tête»
avec ses ennuis de santé! J’ai compris un
peu après ce qui la préoccupait tant: «Tu
vois, je vais chaque nuit, vers minuit, adorer
Jésus à la chapelle, et maintenant je ne peux
plus aller le trouver au Saint-Sacrement!»
Voyant sa souffrance intérieure, je décide
de demander à l’évêque l’autorisation
d’installer un tabernacle dans sa chambre
afin qu’elle puisse adorer Jésus depuis sa
chaise roulante ou son lit. L’évêque saisit
aussitôt l’enjeu spirituel et accepte la proposition.
Je vois encore le visage de Soeur
Emmanuelle à la venue de Jésus-Eucharistie
dans sa chambre! A chaque fois, c’était
la même fascination, la même joie… «Il est
là! Il est là! La nuit, j’ouvre les yeux et Jésus
est là! Quel cadeau!»
Dieu m’a fait la grâce de connaître Soeur
Emmanuelle un peu de l’intérieur. C’est-àdire,
avec les yeux humides de tant de
confidences, de tant de communion, de
tant d’actions de grâce, de tant d’émerveillements
partagés. «C’est beau de vivre! Et
c’est beau de mourir, car la mort, c’est la
porte de la vie éternelle.» Merci, Soeur Emmanuelle,
de nous avoir montré cette porte
et de l’avoir franchie… depuis longtemps
déjà! PÈRE NICOLAS BUTTET

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