dimanche 6 février 2011

Les interpétations diverses dans l'islam


INTERVIEW L'interprétation coranique est un objet complexe et elle délimite des écoles parfois très différentes. Le point avec Grégoire Sommer,
historien des religions



Interview  par VINCENT PELLEGRINI

Il y a des islams divers, y compris en
Suisse. Et il importe donc après le
vote sur les minarets de se pencher
sur les différentes écoles interprétatives
du monde islamique pour privilégier
celles qui ont la capacité d'adapter
l'ordre juridique musulman aux
valeurs occidentales et helvétiques.
Notre interview avec l'historien
des religions Grégoire Sommer.

Grégoire Sommer, le Coran étant dicté
par Dieu existe-t-il une marge d'interprétation
dans l'islam?

On a souvent dit que le Coran et la
tradition (hadith) constituaient un
corps de textes juridiques inamovibles.
Ceci n'est vrai qu'en partie et
pour certaines écoles seulement.
L'interprétation du Coran est en
fait très sophistiquée. De façon générale
l'interprétation dépend de chaque
communauté qui est libre de
choisir ce qui lui apparaît opportun.
Par exemple, les musulmans
d'Arabie Saoudite sélectionnent le
plus souvent des commentaires traditionnels
de la première période de
l'islam, tandis qu'en Afrique de
l'Ouest, on privilégie les commentaires
ou les interprétations qui font voir
le sens caché de certains passages du
Coran.

Mais peut-on aller chercher en dehors
du Coran lui-même et donc de Dieu un
sens aux textes?

Pour comprendre ces différentes logiques
interprétatives, il faut d'abord
considérer que le Coran s'explique
par lui-même et qu'il n'est pas besoin
d'aller en dehors. Ceci signifie que
chaque sourate peut s'expliquer en
raison même de la profondeur du Coran
(en s'appuyant sur la cohérence
interne du texte sacré). Raison pour
laquelle, l'interprète doit avoir une
connaissance complète du Livre.
Deuxièmement, le Coran est
constitué d'un ensemble de chapitres,
appelés sourates, eux-mêmes
divisés en versets, ou ayat, ce qui signifie
littéralement le «signe». Les
musulmans considèrent donc les
versets du Coran comme les signes
de Dieu.
Certains de ces ayat sont clairs et
non ambigus, tandis que d'autres
sont ambigus et de nature métaphorique.
Les versets clairs portent sur
des croyances fondamentales, sur les
rites religieux ou encore sur les lois
explicites.
Quant aux versets ambigus, ils
traitent de certains aspects de la foi
qui échappent à une connaissance
complète (par exemple quand on
parle du Trône de Dieu) et sont donc
moins importants à décoder dans la
perspective de l'intégration de l'islam
en Europe.

Y a-t-il un point commun à toutes les
écoles coraniques dans l'interprétation?


Ce qui va nous intéresser ici, ce sont
les passages clairs, explicites. Comment
les interprète-t-on?
Il faut tout d'abord examiner le
passage en question. Soit par exemple
le passage 2: 239 qui dit: «Si vous
vous sentez en danger, priez en marchant
ou sur vos montures.La sécurité
retrouvée, souvenez-vous de Dieu selon
ce qu'il vous a enseigné et que vous
ne connaissiez point.»
L'examen par les légistes musulmans
de ce passage aura pour objectif
de rechercher les injonctions juridiques
claires tout comme des principes
coraniques susceptibles d'élaborer
pour notre temps des lois que le
Coran n'énonce pas explicitement.
Une fois l'examen réalisé, il conviendra
de prendre en compte le contexte
historique du passage en question. Il
en ressortira que ce passage a été révélé
à l'époque de la bataille de Badr
et des dangers qu'elle a représentés
pour les musulmans. Il en ressortira
donc qu'il traite de la prière en
voyage dans des circonstances qui ne
permettent pas le rituel de la Ka’aba
(se tourner vers la Mecque).
Il faudra ensuite dégager des
principes juridiques à partir desquels
pourra être extraite une loi réelle. Impossible
ici de décrire l'ensemble du
processus. Cependant, du passage 2:
239, on parviendra à mettre en évidence
les deux lois suivantes.
Première loi: Dieu veut la sécurité
pour ses serviteurs et non le danger.
Deuxième loi appliquée à l'époque
moderne: les musulmans sont
autorisés à prier en voiture ou en
avion, sans être tournés vers la Mecque,
si les circonstances l'exigent.

Mais il y a des versets qui se contredisent
dans le Coran. Lesquels appliquer?

Ce système interprétatif est en fait solidaire
d'un autre phénomène qu'on
appelle abrogation. En effet, certaines
lois ont évolué et partant de ce
constat Mahomet a dit: «Abrogeons
un verset, nous le remplaçons aussitôt
par un verset meilleur ou équivalent.»
(passage 2:106). L'abrogation
consiste à substituer certains préceptes
juridiques à d'autres et comme on
ne sait pas exactement quels sont les
versets abrogeables ou non, la question
reste largement ouverte. Ces logiques
interprétatives font de plus
l'objet d'appréciations et d'utilisations
très différentes selon l’école juridique
à laquelle on appartient. Si
l’école sunnite hanbalite d'Arabie
saoudite s'en tient à la tradition du
Prophète et limite strictement les
procédures de l'abrogation, l’école
malikite, que l'on retrouve essentiellement
en Afrique du Nord, va
jusqu'à remettre en question ce qui
fait l'essentiel du dispositif légal des
hanbalites, comme la polygamie, le
voile, les châtiments corporels, etc. Et
ce au nom d'une adaptation de l'islam
aux circonstances modernes en
tenant compte du fait que Mahomet
lui-même a pris en compte le
contexte de son temps.
La Tunisie, par exemple, exploite
au maximum les principes interprétatifs
de l’école malikite qui date du
VIIIe siècle.
L'un des représentants de cette
école en France est par exemple le
recteur de la mosquée de Paris Dalil
Boubaker dont la femme n'est pas
voilée.

Dans quel sens évolue l'islam en
Europe?

Comme nous l'avons expliqué, le cadre
juridique issu du Coran n'est pas
figé et peut continuer à évoluer. Toute
la question est effectivement de savoir
dans quel sens et comment se
fera cette évolution dans les pays occidentaux.
Il est clair que le néofondamentalisme
qui caractérise une partie de
l'islam européen est influencé par
l’école hanbalite qui est considérée
comme la plus conservatrice des écoles
coraniques.
Même le mouvement que dirige
Tariq Ramadan est rattrapé par les salafistes,
adeptes d'un retour aux origines.
Le problème est aussi que l'on
ne sait pas très bien quel islam prédomine
en Europe.

LES ÉCOLES SUNNITES

 L’école hanafite: cette école
juridique a été fondée par An-
Nu’man ibn Thabit Abu Hanifa
(700-767). Abu Hanifa accorde
une place centrale au qiyas, au
raisonnement par analogie. Il intègre
en outre la notion d’istihsan,
c'est-à-dire la notion de
préférence qui accorde au juge
la possibilité de choisir entre
deux options afin de favoriser le
bien commun.
Elle est présente essentiellement
en Asie centrale et en Asie
du Sud.
 L’école malikite: cette école
a été fondée par Malik ibn Anas
(716-795). Elle insiste sur le fait
que les évolutions du droit et
des procédures doivent intégrer
la notion d’istislah, à savoir le
bien commun et le bien-être de
tous. Cette école privilégie ainsi
l'esprit de la loi au détriment de
la lettre. Présente essentiellement
en Afrique du Nord.
 L’école chafi’ite: cette école
juridique a été fondée par Idris
al-Chafi (767-820). Elle s'en
tient uniquement au Coran, à la
sunna (tradition prophétique),
au consensus des savants et au
raisonnement par analogie. Elle
rejette le principe de la préférence
juridique de l’école malikite.
Présente par exemple dans
le sud de l’Egypte et de l'Arabie
et en Afrique de l'Est.
 L’école hanbalite: cette école
juridique tire son nom d’Ahmad
Ibn Hanbal (780-855). Elle est
considérée comme la plus
conservatrice. Elle a développé
la notion d’ibaha, ou de licéité
qui considère comme licite ou
présumée licite toute action qui
ne contredit pas le Coran et la
sunna. Présente par exemple en
Arabie saoudite.

GRÉGOIRE SOMMER:
«On ne sait pas très bien
quel islam prédomine
en Europe»

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