dimanche 20 février 2011

La nouvelle théologie de la libération


ENQUÊTE  Ancien grand reporter au «Figaro Magazine» Jean-Pierre Moreau a enquêté sur un nouveau christianisme révolutionnaire


Par VINCENT PELLEGRINI

Ancien grand reporter au «Figaro
Magazine», le journaliste
français Jean-Pierre Moreau a
réalisé en 1986 avec ce magazine
et Sygma TV un film documentaire
intitulé: «Dieu et Marx», qui montrait l’action de
prêtres au côté de la guérilla
dans divers mouvements de libération
d’Amérique latine.
Durant une année, il avait
sillonné avec son équipe TV
toute l’Amérique latine pour
montrer cet aspect de la théologie
de la libération. Il revient aujourd’hui
avec un livre – aux Editions
Fol’fer – sur la résurgence
de ladite théologie de la libération.
Nous lui avons demandé ce
qu’il restait de cette théologie libérationniste
qui a été combattue
par Jean Paul II et par celui
qui était encore à l’époque le
cardinal Ratzinger. Un thème
d’actualité puisque le pape
s’apprête à publier une grande
encyclique sociale.
Qu’aviez-vous découvert en 1986
lors de la réalisation de votre
film?
Que nombre de prêtres – également
européens – étaient des
agents actifs de la guérilla révolutionnaire.
Ils ne faisaient certes
pas toujours partie de l’appareil
militaire mais collaboraient
directement avec la guérilla
sur d’autres plans, y compris
logistiques.
Durant cinq ans, au «Figaro
Magazine», nous avons investigué
et recueilli des éléments
montrant que l’Action de carême
française de l’époque et
son bras national, le CCFD (Comité
contre la faim et pour le développement)
finançait avec
l’argent des fidèles des groupes
révolutionnaires. J’ai même eu
un procès en diffamation pour
le livre que j’avais consacré à ce
sujet, «l’Eglise et la subversion»,
mais je l’ai gagné.
Qu’est-ce que la théologie de la
libération théorisée par les
Lenoardo Boff et autres penseurs
libérationnistes?
Jusqu’à la 3e Internationale, la
dialectique marxiste léniniste
ciblait le monde ouvrier. Après
la Seconde Guerre mondiale
cette opposition de classe s’est
doublée de luttes de libération
nationale. On opposa alors non
plus seulement les ouvriers aux
bourgeois, mais les colonisés
aux colonisateurs.
C’est un discours qui séduisit
certains prêtres et un religieux
devint par exemple le biographe
de Fidel Castro. Il y a eu,
comme a dit Benoît XVI, «manipulation
idéologique de la religion
». Et ce processus a été initialisé
en Amérique latine par
des religieux venus d’Europe. Ils
ont gauchisé une pensée chrétienne
pour en faire une idéologie
socialiste de conquête du
pouvoir. Ils ont gardé la dialectique
marxiste en opposant systématiquement
les riches aux
pauvres, les églises locales à
l’Eglise de Rome, les communautés
de base à la hiérarchie
ecclésiastique et à l’autorité de
l’évêque.
Bref, la théologie de la libération
a créé une hiérarchie parallèle
à celle de l’Eglise dans les
paroisses grâce notamment aux
communautés de base.
Aujourd’hui la théologie de la
libération est cependant affaiblie.
Après la chute du mur, l’Union
soviétique a effectivement cessé
de financer la propagande révolutionnaire
dans le monde et les
guérillas se sont progressivement
éteintes ou tout au moins,
ont connu un ralentissement
considérable.
En 1986, le cardinal Ratzinger
avait par ailleurs publié une
note condamnant la théologie
de la libération dans son essence.
La même année, Jean
Paul II a stigmatisé cette même
théologie de la libération dans
une lettre aux évêques brésiliens.
C’était l’époque où l’archevêque
de Sao Paulo, le cardinal
Arns, félicitait Fidel Castro
pour l’anniversaire de la révolution
cubaine. Bref, l’Eglise a
lancé une contre-attaque à travers
les conférences épiscopales
d’Amérique latine. Evêques et
clercs proches de la théologie de
la libération ont été mis peu à
peu sur la touche. La théologie
de la libération en est ressortie
considérablement affaiblie et
Leonardo Boff a quitté l’Eglise.
Bref, le mouvement a échoué à
prendre le contrôle des structures
ecclésiales, y compris en Europe.
Alors, pourquoi consacrez-vous
aujourd’hui un livre à la résurgence
de la théologie de la libération?
Car le CCFD français (Comité
contre la faim et pour le développement),
organisme officiel
de l’épiscopat qui a le monopole
de la quête de l’Action de carême
en France, continue de
plus belle dans la ligne de la
théologie de la libération, notamment
à travers des réunions
comme le Forum social mondial
ou le Forum mondial de théologie
et libération.
En enquêtant, j’ai découvert
que le CCFD était encore plus
puissant, vingt ans après, qu’il
travaillait main dans la main
avec le syndicat CFDT, et le
groupe néo-trotskiste, ATTAC,
pour promouvoir l’idéologie de
la 4e ou de la 5e Internationale.
Son président Guy Aurenche
vient de la gauche. Aujourd’hui,
la dialectique marxiste s’applique
à la mondialisation. Des
penseurs, comme le prêtre
belge et professeur à Louvain
Francois Houtard sont les animateurs
de cette nouvelle théologie
de la libération.
Mais ne s’agit-il pas tout simplement
d’une sensibilité catholique
progressiste et sociale?
Non, car le vieux schéma de la
lutte des classes est appliqué, à
l’écologie et à la mondialisation.
La théologie de la libération
s’oppose aux multinationales et
aux Etats qui détruisent la nature
seul bien des pauvres. On
est dans une nouvelle démarche
politique qui appelle la société
civile à prendre le pouvoir
contre les pouvoirs en place représentés
par les politiciens,
l’Eglise hiérarchique, les économistes,
etc. La nouvelle théologie
de la libération veut changer
radicalement la société mais ne
véhicule plus de références
chrétiennes. Le slogan est double:
un autre monde est possible,
une autre Eglise est possible.
La mission évangélisatrice
de l’Eglise est complètement
remplacée par un développement
utopique qui sauvera les
peuples.
Cette nouvelle théologie de la
libération n’a pas ses entrées au
Vatican…
Oui, elle ne reprend pas vraiment
pied dans l’Eglise mais
c’est dans la sphère politique
qu’elle essaie de reconquérir le
terrain perdu, notamment à travers
des réunions internationales
comme le Forum social
mondial. Cette année, à Belem
(Brésil), il y avait par exemple
énormément d’associations et
d’ONG chrétiennes. Il y avait
aussi cinq chefs d’Etat latinoaméricains
de gauche et ce Forum
social mondial a consacré
une sorte de christianisme révolutionnaire
sans christianisme.
Certains théologiens libérationnistes
ont pourtant cité Jean Paul
II disant qu’il y avait une théologie
de la libération chrétienne
«utile et nécessaire».
Il s’agit d’une falsification. Ce
dernier disait que la théologie
de la libération, au sens catholique,
était nécessaire, et qu’elle
passait par la conversion des
coeurs et l’évangélisation. Il a
bien expliqué dans ses textes
que ce n’était pas celle prônée
en Amérique latine. Benoît XVI,
lui, a expliqué que sans l’Esprit
Saint et en dehors d’une optique
de foi, l’Eglise n’était plus
qu’une sorte d’agence humanitaire

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