mardi 8 février 2011

Internet et religion



LIVRE  Pour Jean-François Mayer, les nouvelles technologies de la communication ont aussi un impact sur les religions.


PROPOS RECUEILLIS PAR
VINCENT PELLEGRINI

Docteur en histoire, spécialiste
des religions et fondateur de l’institut
Religioscope, Jean-François
Mayer a été interpellé lors de ses
recherches par l’importance
croissante que prenait le web
dans le domaine religieux. Il en
fait une synthèse dans un livre intitulé
«Internet et religion» qui a
été publié aux Editions Infolio.

Jean-François Mayer, pourquoi
écrire un livre sur les religions
dans le cyberespace?

Je n’ai pas voulu faire un guide
des religions sur l’internet mais
étudier l’impact des nouvelles
technologies de la communication
dans le champ religieux.
Durant mes recherches sur les
nouveaux mouvements religieux
et sur les polémiques autour
des sectes j’ai été amené à
me demander si le web avait
changé les règles du jeu...

Et qu’avez-vous constaté?

J’ai constaté que l’internet offrait
certes aux sectes un outil
de prosélytisme, mais qu’il permettait
aussi à leurs adversaires
et à d’ex-adeptes d’exercer une
pression. Le web est un outil à
faible coût qui permet à une
personne isolée de se faire entendre
à l’échelle planétaire si
le site est bien référencé sur les
moteurs de recherche. Cela ne
requiert pas de gros moyens,
mais relève de facteurs pas toujours
maîtrisables. Ainsi, durant
des mois en 2006, au premier
rang pour «religion» sur
Google en langue française se
trouva une page sur les religions
réalisée par une classe
d’école française! De multiples
exemples démontrent que des
individus ont réussi tout seuls à
provoquer des crises internes
dans des mouvements de taille
internationale. Il s’agit là d’un
phénomène sans précédent.

Pourquoi les sectes ou les mouvements
en marge de la société
affectionnent-ils tant l’internet?

Certains s’en méfient aussi.
Mais il est vrai que cet outil de
communication de masse permet
à des groupes en marge ou
à des individus isolés de courtcircuiter
les médias et de se
faire entendre sans disposer
des ressources –médiatiques et
autres – auxquelles ont accès
les institutions. Et bien sûr pas
seulement dans le domaine religieux.

Les religions utilisent-elles beaucoup
l’internet?

L’utilisation de la toile par les
grandes religions et les mouvements
religieux a explosé, surtout
dans les pays industrialisés.
Les sites, les blogs et les forums
de discussion ont pris
une grande importance chez
les chrétiens et les musulmans
par exemple. Ils s’articulent
d’ailleurs souvent autour d’une
tendance précise au sein de
chaque tradition religieuse. J’ai
constaté une présence forte des
mouvements chrétiens évangéliques
qui se montrent très
missionnaires sur le web
comme ils le sont en dehors du
monde virtuel: les mêmes comportements
se retrouvent. Pour
l’anecdote, j’en ai récemment
découvert un qui propose
d’«adopter» un terroriste en
priant pour lui afin qu’il se
convertisse... Dans l’islam,
blogs et forums commencent à
jouer un rôle important. Les islamistes
sont très présents sur
l’internet. On trouve aussi des
forums salafistes et djihadistes
francophones. En janvier 2008,
le numéro 2 d’Al-Qaïda Zawahiri
répondait par le truchement
de forums aux questions
des sympathisants djihadistes...
L’islamisme est très présent
à travers des forums,
même si ceux-ci sont consultés
par une minorité de musulmans.
Depuis peu, il y a aussi
une multiplication de sites qui
entendent lutter contre la radicalisation
prônée par certains
courants de l’islam en proposant
d’autres interprétations.
Les gouvernements de plusieurs
pays musulmans tentent
de contrôler l’internet. A l’aéroport
de Dubaï je n’ai par exemple
pas pu accéder à un site
d’apologétique chrétienne
pourtant anodin. Mais c’est la
Chine qui dispose du système
de filtrage sur le web le plus élaboré
de la planète.

Une religion ou une secte peut elle
convertir par l’internet?
Une vieille règle, toujours valable,
veut que l’interaction entre
personnes joue le premier rôle
dans une conversion. Mais un
site internet peut être efficace
en éveillant par exemple la curiosité.
Et comme on trouve de
tout sur la toile, il faut être prudent,
trier les informations.

Va-t-on vers la constitution de
communautés religieuses virtuelles?

Il y a eu des tentatives, comme
par exemple le site St Pixels
(créé par des méthodistes),
mais l’on constate que les gens
désirent en général se rencontrer
physiquement. Il faut par
contre reconnaître que les personnes
se sentant par exemple
isolées dans leur société à
cause de leurs idées peuvent
trouver sur le net une sorte de
communauté virtuelle partageant
leur vision de la vie, un
engagement et une forme de
reconnaissance sociale.

L’internet peut-il induire un
changement de croyances?

L’internaute est certes confronté
à une multiplicité de
croyances encore plus vive que
dans son quotidien, mais je n’ai
pas encore vu émerger une
nouvelle cyberspiritualité. De
plus, les navigateurs web n’ont
guère plus de quinze ans d’âge.
L’on ne peut cependant pas exclure
des changements dans les
rapports au sacré ou dans
l’équilibre des forces car l’internet
donne des leviers importants
à des gens qui ne sont pas
installés dans les grandes institutions
religieuses.

Des choses vous ont-elles surpris
dans vos pérégrinations sur
la toile?

Oui, par exemple la forte présence
des monastères en ligne.
Pour l’anecdote, lors du dernier
synode du patriarcat de Moscou,
des évêques orthodoxes
ont appelé à ce que certains
monastères ne deviennent pas
des cybercafés!


L’institut
Religioscope
Jean-François Mayer mène depuis
de nombreuses années des
recherches sur les religions. Elles
l’ont amené à publier une dizaine
de livres et quantité d’articles.
Il a fondé en 2002 Religioscope
qui est à la fois un site internet
(www.religion.info) et un
institut de recherche sur les facteurs
religieux. Religioscope
s’attache à analyser de manière
pointue le développement des
religions et des nouveaux mouvements
religieux dans le
monde «en avançant des éléments
d’analyse solide, sans se
positionner», explique Jean-
François Mayer.
Sur le site de l’institut, un millier
d’articles sont déjà accessibles
gratuitement. Religioscope est
non confessionnel et soutenu
par des privés. Depuis fin juillet,
l’institut dispose de bureaux à
Fribourg et poursuit ses projets
de recherche, notamment sur
l’islam dans le monde contemporain
avec Patrick Haenni. Religioscope
est également actif
par ses publications et ses séminaires
de spécialistes. L’institut
soutient par ailleurs des projets
de recherche dans d’autres pays vp

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire