vendredi 23 décembre 2011

Sartre et Marie

Cavalier seul

Vincent Pellegrini



On a de la peine à le croire, mais le texte qui suit a été écrit par Jean-Paul Sartre, le philosophe existentialiste pour Noël 1940. Il avait été fait prisonnier par les Allemands et se trouvait à Trèves dans un camp. C’est là qu’il rédige pour Noël une pièce de théâtre à l’intention des prisonniers. Ce texte intitulé Bariona ou le Fils du tonnerre fut joué dans un baraquement. L’écrivain Massimo Borghesi le commente ainsi:  «Nous nous trouvons devant un Sartre inconnu qui semble un instant s’émouvoir de l’affection émerveillée de Marie, du regard de Joseph et de l’espoir des Mages et des bergers devant l’enfant Dieu.» Plus tard, Sartre reniera l’attendrissement chrétien qui parcourt ces pages et refusera que la pièce de théâtre figure dans son œuvre complète. Jean-Paul Sartre écrit  notamment: «Vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la Crèche, la voici. Voici la Vierge, voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. (…) Vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi. La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une seule fois sur une figure humaine, car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois. Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : «Mon petit!» Mais à d’autres moments, elle demeure toute interdite et elle pense: «Dieu est là», et elle se sent prise d’une crainte religieuse pour ce Dieu muet. (…) Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit, et c’est dans ces moments-là que je peindrais Marie si j’étais peintre, et j’essayerais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant Dieu dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.»

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire