mardi 7 février 2012

Après le suicide

LIVRE. Un prêtre valaisan  parle du thème délicat du suicide et publie une «Lettre aux proches désemparés »

 Vincent Pellegrini



«Le vertige du suicide – Lettre aux proches désemparés», tel est le titre d’un ouvrage qui vient d’être publié aux Editions des Béatitudes et qui a été écrit par l’abbé Joël Pralong, curé dans le secteur paroissial de Nendaz. L’auteur parle avec beaucoup d’empathie et trace des pistes pour retrouver l’espérance.
Joël Pralong, pourquoi ce livre sur le suicide ?

Plus qu’une approche psychologique ou sociologique du phénomène, ce livre est un témoignage, celui d’un pasteur travaillant sur le terrain, qui a souvent été confronté à la réalité du suicide, tout particulièrement celui des jeunes. Je l’ai d’abord écrit avec les larmes des parents et amis traumatisés par l’absence brutale d’un fils, d’une fille, d’un ami, «qui a décidé de partir» comme on dit, mais aussi avec mes propres larmes, celles qui coulent à l’intérieur de celui qui se veut discrètement proche. Et puis, au-delà des drames et à l’intérieur des déchirures, j’ai cueilli de belles fleurs d’espérance. D’ailleurs, même les chardons produisent des fleurs, pas vrai? Une espérance plus forte que la mort chez ceux qui restent, la certitude d’un futur possible plein de lumière «de l’autre côté du voile», la force d’avancer, de continuer et d’aimer la vie malgré tout…tel un nouvel élan du cœur… une grâce donnée «d’en haut». Un livre qui laisse des traînées de lumière entre les lignes.

Le suicide est-il toujours vu comme un tabou?

Le suicide est un thème tabou. On en a honte. Un lourd silence pèse sur les proches. Les familles touchées par ce drame ne savent pas toujours comment l’annoncer, le diffuser, en parler. Parfois on préfère dire que c’était un accident, une mort subite. Et puis, une autre question vient corser la douleur du croyant, lancinante et torturante, en arrière-fond de la conscience: «Mon fils, ma fille… sera-t-il (elle) sauvé(e)?», surtout que, jusque dans les années 60, un suicidé n’avait pas droit à des obsèques chrétiennes ! La conscience collective en a été marquée au fer rouge, et les cicatrices ne sont pas encore refermées. Mais j’ai voulu, en quelque sorte, briser ce tabou en orientant les regards vers un Dieu «riche en miséricorde à cause du grand amour dont il nous a aimés» (Eph 2,4). Il faut oser en parler. Parler du suicide c’est oser parler de nos propres fragilités, sociales et personnelles, et chercher ensemble comment le prévenir, comment nous épauler les uns les autres.
Avez-vous une recette, des  pistes à proposer?

 Je salue au passage l’existence de bien des associations pour la prévention du suicide et l’aide apportée aux personnes endeuillées (par ex. www.parspas.ch en Valais) ainsi que d’autres initiatives personnelles. Ceci dit, et au risque d’être taxé d’utopiste, je pense que, plus en amont, nous devons nous efforcer de bâtir une civilisation de l’amour (Paul VI) par opposition à une civilisation de la mort qui s’appuie sur le profit économique, l’égoïsme érigé en systèmes d’exploitation de l’homme par l’homme, l’isolement, l’individualisme, la perte des valeurs, la négation de l’humain, l’absence de Dieu, et donc, d’espérance! Tandis que la civilisation de l’amour va plus loin que la justice, la tolérance ou le simple respect de l’autre, elle se construit sur des relations de charité, d’amour, de partage, de miséricorde, de souci du plus faible, donnant à chacun, au différent, la place et l’estime auquel il a droit. Elle éveille chez les jeunes tant de créativité en attente, en sommeil. Pour moi, l’Evangile en est la sève.
Quel est votre regard chrétien sur le suicide?

 Disons-le sommairement: le suicide n’est ni un acte de lâcheté, ni un acte de courage, de bravoure ou de liberté (ce qui pourrait le rendre attrayant et ainsi faire des adeptes), mais un acte de désespoir motivé par une souffrance intolérable. C’est une violence infligée à la vie. Autrement dit, en cherchant à mettre fin à ses jours, le suicidaire désire ce qu'il pense être un bien, et ce «bien», malheureusement,  le tue! En réalité, la personne qui met fin à ses jours cherche confusément à retrouver la paix intérieure, et nous espérons de tout notre cœur qu’elle puisse trouver Dieu qui est la paix. Mais je m’obstine à déclarer que l’acte du suicide n’est pas le bon ni le juste chemin pour être en paix, il est objectivement un mal parce qu’il fait trop souffrir ceux qui restent. Néanmoins, notre espérance en la Miséricorde de Dieu se veut têtue!
Quelle est l’attitude de l’Eglise?

 Loin de juger l’acte ou de condamner le suicidé, l’Eglise se veut accueillante à tous ceux qui désespèrent au point de se donner la mort. En célébrant leurs funérailles, elle désire les confier à la miséricorde de Dieu, sûre que Dieu leur ménage des voies particulières pour entrer dans sa lumière (voir catéchisme de l’Eglise, no 2280-2283). Elle nous invite à prier pour ceux qui sont partis de sorte que notre prière les soutienne et les accompagne sur leur chemin vers Dieu afin que, de «leur côté», ils aient l’audace et le courage de dire «oui» à la Miséricorde. Je termine par cette phrase pleine d’espérance de sainte Thérèse de Lisieux: «On ne peut tomber plus bas que dans les bras de Dieu!»

 Que dire aux proches d’une personne qui s’est suicidée?

Le suicide d’un proche crée un état de choc. Etre là, aux côtés de ceux qui souffrent, accueillir leurs larmes, écouter leur révolte, leur incompréhension… les soutenir, tout simplement, sans discours, sans vouloir expliquer l’inexplicable… C’est déjà beaucoup au départ. Accepter d’être pauvre devant l’événement,  de n’avoir rien à dire si ce n’est offrir ce que l’on a de plus précieux en nous: notre cœur. Ce sont dans ces circonstances que se dévoilent les amis. Par la suite, prendre des nouvelles, écrire un petit mot, apporter une fleur… Signifier qu’on est toujours là. Les petits riens prennent alors une importance inouïe sur le chemin du deuil. Viendra le temps du questionnement, du dialogue, de la quête de sens face à ce qui est arrivé, du besoin peut-être de parler avec des personnes d’expérience, qui ont passé par là…



Fiche signalétique
Le vertige du suicide – Lettre aux proches désemparés
Joël Pralong
Editions des Béatitudes
122 pages
17,60 francs - 11euros

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